Le cinéma des Philippines a, de tout temps, accordé une place assez importante au surnaturel et à la peur. Pourtant, les œuvres de ce style les plus connues en Occident datent des années 50 à 70, époque à laquelle l'industrie cinématographique de ce pays tisse des liens importants avec les Etats Unis. Ainsi, le producteur américain Kane W. Lynn commence à travailler avec les metteurs en scène philippins Eddie Romero et Gerardo De Leon afin que ceux ci dirigent, dans leur pays, des œuvres destinées à être exploitées dans les circuits populaires des Etats Unis. Sort ainsi dans un premier temps, TERROR IS A MAN, une variation sur le thème de L'ILE DU DOCTEUR MOREAU dont l'action se déroule sur l'île du Sang (Blood Island). Dans le même genre, en 1968, la même équipe sort BRIDES OF BLOOD, une autre histoire mêlant science-fiction et horreur sur la même île sanglante. Le succès est au rendez-vous, et la compagnie distributrice aux USA, Hemisphere, commande aussitôt des suites. Arrivent alors LE MEDECIN DEMENT DE L'ILE DE SANG, BEAST OF BLOOD et BRAIN OF BLOOD (ce dernier étant réalisé par l'américain Al Adamson).
Par ailleurs, Gerardo De Leon dirige aussi KULAY DUGO ANG GABI, en 1966, un film de vampires sorti alors que, en occident, la popularité des oeuvres d'épouvante gothique est très importante. Le même réalisateur revient à ces buveurs de sang avec CURSE OF THE VAMPIRES (alias BLOOD OF THE VAMPIRES), à nouveau une co-production avec la firme américaine Hemisphere. Dans le rôle principal, on rencontre Eddie Garcia, un comédien philippin connu, qui commence à travailler sur ses collaborations entre les Etats Unis et les Philippines (on le retrouve, la même année, dans BEAST OF BLOOD ou BEAST OF THE YELLOW NIGHT, ce dernier titre étant réalisé par Eddie Romero, dans le cadre d'un partenariat financier avec Roger Corman), ainsi que Amalia Fuentes, la vedette féminine de KULAY DUGO ANG GABI.
Eduardo Escodero et sa sœur Leonore retournent à la demeure de leur famille pour y retrouver leur père. Celui-ci, gravement malade, avoue avoir enfermé dans la cave leur mère Consuelo, laquelle est devenue un vampire terrible qu'il doit empêcher de sortir. Leonore veut se marier à un jeune homme nommé Daniel Castillo, mais le patriarche refuse de crainte qu'elle ne propage, malgré elle, la malédiction vampirique pesant sur sa mère. Un soir, alors qu'Eduardo rend visite à Consuelo, celle-ci, devenue une furie assoiffée de sang humain, le mord…
Les qualités les plus évidentes de cette histoire de vampires philippins reposent, sans nul doute, au sein de son scénario. La vampirisme devient ici une malédiction familiale qui va contrarier le destin de toute une famille. La mère devient un monstre bestial, le père se ruine l'âme et la santé à tenter de l'empêcher de sévir dans la région, tandis que l'avenir des enfants est compromis par les drames qui vont découler de ce mal surnaturel. Non seulement Leonore ne peut épouser l'homme qu'elle aime, mais elle va même le perdre alors qu'il tente de la défendre. Par ailleurs, Eduardo épouse la jeune fille dont il est épris, mais ces noces seront singulièrement lugubres, placées sous le signe de la damnation et du malheur. Au sein de cette tragédie familiale, le surnaturel, représenté par les vampires, mais aussi par une histoire de fantômes, s'insère à merveille tandis que ces mythologies fantastiques sont intelligemment exploitées.
Par son style visuel, BLOOD OF THE VAMPIRES se rapproche assez nettement de ce que propose alors le cinéma occidental. Le film se déroule à la même époque que les titres gothiques (XIXème siècle). L'atmosphère pesante est celle d'une grande demeure familiale, peuplée de tableaux sinistres et de meubles anciens, parmi lesquels on marche nuitamment, sous l'éclairage vacillant d'un chandelier. Cimetières, cercueils et crypte complètent l'apparat funèbre de cette œuvre vampirique, dans la plus pure tradition internationale du genre. A cela vient s'ajouter un usage expressionniste des couleurs, rappelant certains films de Bava, qui accompagne certains passages surnaturels, lorsque la mère vampire se réveille par exemple.
Ce film philippin possède aussi ses particularités locales. A l'ambiance gothique classique, s'ajoutent des traits exotiques, comme cette moiteur tropicale qui s'abat sur les personnages, ou cette ambiance de jungle nocturne et inquiétante, ainsi que ce paysage de vallée grandiose que traverse, à toute vitesse, la carriole de Daniel et Leonore. En plus, BLOOD OF THE VAMPIRES recourt à un folklore catholique (religion majoritaire dans le pays depuis son occupation par l'Espagne) assez singulier et spectaculaire. Ainsi, pour défaire les vampires, les villageois arrivent à l'hacienda maudite avec ce qu'il faut de torches et d'armes, mais, en plus, ils sont menés par un prêtre paré de ses atours les plus somptuaires tandis que des hommes portent en triomphe, comme pour une procession religieuse, des statues de saints.
Très bien mis en scène, interprété avec conviction, on ne peut reprocher à BLOOD OF THE VAMPIRES que certaines limites de sa production. Les décors, peu nombreux, sont assez répétitifs et ne semblent pas très bien finis. De plus, la photographie paraît souvent un peu primaire (mais n'est-ce pas la faute de la copie utilisée ?). Quoi qu'il en soit, BLOOD OF THE VAMPIRES propose une relecture très intéressante du mythe vampirique et mérite tout à fait sa place parmi les réussites du cinéma fantastique international.
Image Entertainment (zone 1, NTSC) a publié ce film en 2002 dans sa "Blood collection" dédiée aux films de cette série distribuée par Hemisphere : BRIDES OF BLOOD, LE MEDECIN DEMENT DE L'ILE DE SANG, BEAST OF BLOOD et BRAIN OF BLOOD. Les deux films de vampires THE BLOOD DRINKERS et BLOOD OF THE VAMPIRES ont été ajoutés à cette série.
Proposé dans un cadrage plein écran, ce télécinéma, effectué, selon le commentaire audio, à partir d'éléments argentiques ayant servi pour tirer des copies à l'époque de la sortie du film, n'est pas pour autant flamboyant. Les saletés sont nombreuses, les contrastes sont un peu hésitants, les couleurs, peu saturées, peuvent baver… Pourtant, au vu des origines exotiques de ce titre, le résultat reste acceptable.
La bande-son est disponible en anglais (sans doute doublée par les acteurs eux-mêmes, l'anglais est une langue courante aux Philippines), même si certains défauts de synchronisation tendent à faire penser que le film a été tourné en tagal, la langue nationale officielle. A nouveau, il ne faut pas s'attendre à des merveilles, le son ayant tendance à saturer et les dialogues pouvant être parfois durs à saisir pour les spectateurs dont l'anglais n'est pas la langue maternelle.
Pour une telle production, Image propose quelques suppléments intéressants. D'abord on accède à un commentaire audio, assuré par Sam Sherman, collaborateur des fondateurs de Hemisphere. Il propose, en fait, sur toute la collection, une série de commentaires se suivant. Ici, il parle peu du film, mais revient sur la fin de la compagnie Hemisphere, en évoquant aussi les productions érotiques dans laquelle elle s'est impliquée après les films d'horreur philippins, notamment en distribuant avec succès le film allemand DIE STEWARDESSEN. Bien préparé, ce commentaire extrêmement informatif se termine au bout de 45 minutes.
Puis, on peut consulter une interview d'Eddie Romero (apparemment conçue par l'équipe de Mondo Macabro"), dans laquelle il revient sur sa carrière. Puis, on peut visionner une galerie de photos et matériel promotionnel dédiés aux films de la "Blood collection", ainsi que les bandes-annonces de ces films, plus celles RAIDERS OF THE LIVING DEAD et HORROR OF THE BLOOD MONSTERS, œuvres auxquelles a collaboré Sam Sherman. Enfin, en petit cadeau, on trouve une petite bande-annonce "House of terror" annonçant un spectacle "live" tel qu'on en trouvait, alors, dans les cinémas populaires américains, avant la projection des films d'horreur.
Bref, Image Entertainment propose une édition très honnête, permettant de découvrir dans des conditions acceptables une rareté de qualité.