Selon une tenace légende urbaine japonaise, les téléphones portables se feraient le relais d'une étrange malédiction. La victime recevrait un message vocal d'elle-même, message daté de quelques jours dans le futur et faisant entendre les derniers mots précédant une mort violente. Alors que quelques amies proches sont mortes de manière inexpliquée, c'est au tour de Yumi de recevoir le fameux message. Dans le peu de temps qu'il lui reste, la jeune femme va tenter de percer le mystère de sa macabre condamnation.
Le séisme RING a beau avoir secoué le cinéma japonais il y a un moment déjà, en 1998, la valse des rip-off n'est pas encore terminée. Sans aucun doute motivé par la mise en chantier des remakes américains (RING bien sûr, THE GRUDGE, bientôt DARK WATER), et dans une moindre mesure par l'offensive coréenne qui exploite ses films d'horreurs post-RING aux quatre coins du monde, ONE MISSED CALL alias CHAKUSHIN ARI arrive un peu en retard sur le marché de l'épouvante nippone avec sa modeste relecture du mythe RING recentré pour un public un peu plus jeune.
La seule véritable initiative narrative de ONE MISSED CALL est de troquer la cassette vidéo maudite du film de Nakata pour des téléphones portables (une idée déjà présente dans le coréen PHONE ou le thaïlandais 999-9999). Sortie de cette astuce, la narration du film reprend point par point les ressorts de son prodigieux modèle. Le développement de la légende urbaine, qui va d'abord s'immiscer dans les proches du personnage principal avant de s'effondrer sur cette dernière, est identique en termes de récit et d'enjeu (avec notamment cette idée de mort annoncée clairement indiquée dans le temps). La notion de contamination est plus que jamais présente dans la mesure où le prochain tué est désigné au hasard dans la liste de contact du téléphone de la présente victime. Le changement de cap de l'histoire, qui va pousser le film vers le policier surnaturel, est à nouveau à comparer à RING surtout que l'héroïne va faire équipe avec un homme lui aussi en quête de réponses. Autant d'éléments accablants qui font passer ONE MISSED CALL pour un vulgaire repompage d'une histoire que l'on connaît déjà trop bien.
La découverte de cette petite contrefaçon n'aurait pas beaucoup d'intérêt si cette dernière n'était pas signée par l'un des réalisateurs les plus «autres» du moment, l'infatigable Takashi Miike. Egalement adulé et haï par un bastion commun du cinéma de genre, on doit à l'homme la torture hardcore de AUDITION, la série tantôt déjantée tantôt introspective des DEAD OR ALIVE, l'hyper violent et sadique ICHI THE KILLER, la comédie musicale branque HAPPINESS OF THE KATAKURIS, le drame familial et extrêmement provocateur VISITOR Q… Soit quelques exemples d'une filmographie parmi les plus dense du monde (une soixantaine de films ou téléfilms sur à peine quinze ans).
Takashi Miike est connu pour son côté chien fou, débarquant sur le plateau de son énième film en décidant à l'improviste de tout envoyer en l'air. Les pétages de câbles conceptuels ou les embardées supra-gores étant la marque de fabrique du bonhomme (ou tout du moins celle que l'on retient le plus facilement), il était logique d'attendre la fougue anarcho-créative de Miike dans le carcan très policé de ONE MISSED CALL. Curieusement, il n'en est rien. Miike délaisse ici sa réputation d'électron libre et livre une mise en scène soignée, respectueuse de l'histoire du film, et ne bénéficiant d'aucun second degré. Miike a bel et bien l'intention d'honorer comme il se doit le contrat tacite liant le metteur en scène à ce genre d'histoire : faire peur.
Le savoir-faire de Miike est indéniable et l'homme parvient sans mal à relever le niveau grâce à un solide sens de l'efficacité. Ne cherchant pas à jouer la suggestion vis-à-vis d'un public largement rodé aux silhouettes fantomatiques japonaises, l'homme nous gratifie de séquences particulièrement crues que ce soit dans l'apparition de ses spectres (avec un final insistant sur un revenant en pleine décomposition), ou encore via des morts très violentes tandis que RING ellipsait le meurtre des victimes. Sans pour autant jouer la complaisance, Miike mise sur des plans courts et frontaux associés à un travail de son très crispant. Il n'en faut pas forcément plus pour nous arracher de véritables frissons.
Dommage maintenant que le scénario soit si borné à repomper le film de Nakata et le livre de Suzuki, introduisant des éléments superficiels à une enquête policière trop routinière (les victimes sont retrouvées avec un bonbon dans la bouche, l'asthme du fantôme). La conséquence la plus fâcheuse étant la fausse fin de ONE MISSED CALL, calquée encore une fois sur qui vous savez, soit une quinzaine de minutes confuses et sans intérêt ayant la particularité de faire retomber la tension du très angoissant climax dans un hôpital désaffecté.
Mais pourvu que l'on puisse faire abstraction de ces correspondances narratives, >ONE MISSED CALL est une bonne surprise, oubliable certes mais dotée de suffisamment de caractère pour nous faire passer un moment des plus intenses. Miike se montre suffisamment inspiré, exploitant le moindre fragment original du script pour dégager le film de son influence principale. C'est ainsi que le metteur en scène se met à jouer énormément avec les sonneries de téléphone, mélodies doucereuses annonciatrices d'une horrible nouvelle (on pense à la comptine ouvrant chaque meurtre des FRISSONS DE L'ANGOISSE de Dario Argento). L'instant T de la mort enregistrée sur messagerie vocale (ou sur texto image, nouveau modèle oblige) se réalise suivant un mécanisme d'anticipation narrative qui n'est pas sans rappeler les photographies de LA MALEDICTION. Quant à la meilleure scène du film, où une émission de télévision sans scrupule invite une victime à passer le terme de sa malédiction en direct, elle est symptomatique de la volonté de ONE MISSED CALL de tenter d'exister dans les interstices des ellipses de RING et de s'y justifier comme un complément de qualité.
Gros succès au Japon, ONE MISSED CALL bénéficie dans son pays d'une édition DVD généreusement fournie en termes de bonus. Malheureusement l'absence de sous-titres anglais nous oblige à trouver une autre source, soit seulement (pour l'instant) l'édition chinoise en zone 3. L'image, au format et anamorphosée pour le 16/9, est d'honnête facture bien qu'un peu terne et enterrée dans ses scènes sombres. Les pistes sonores sont quant à elle d'excellentes qualités, notamment la piste DTS qui sera responsable de la plupart des violents sursauts offerts par le film. Pas le moindre bonus malheureusement, cela étant rattrapé par le faible prix du disque.
ONE MISSED CALL alias CHAKUSHIN ARI est à déconseiller malgré son efficacité à tous les blasés de ce que l'on appelle grossièrement «l'horreur asiatique», ce dernier n'apportant que peu d'éléments vraiment nouveaux. Il n'en constitue pas moins un excellent moment, dont la force d'impact est à mettre au crédit de son illustre réalisateur. A noter qu'une suite est actuellement en chantier, sans Takashi Miike toutefois.