Les écrits bibliques ont depuis les débuts du cinéma inspiré les producteurs et réalisateurs. Hormis ses DIX COMMANDEMENTS (réalisés en fait à deux reprises), Cecil B. DeMille est lui-même l'instigateur d'une vie de Jésus dans le courant des années 20 avec THE KING OF KINGS. Et comme le médium cinématographique laisse une grande place à l'adaptation et aux interprétations, le personnage de Jésus embrasse les écrans à de nombreuses reprises sous la forme d'une figure très hollywoodienne (LA PLUS GRANDE HISTOIRE JAMAIS CONTEE ou LE ROI DES ROIS), d'une image d'Epinal respectueuse (JESUS DE NAZARETH de Franco Zeffirelli), de versions télévisées (JESUS, MARY, MOTHER OF JESUS…), d'un militant révolutionnaire (L'EVANGILE SELON ST MATTHIEU) en passant par des versions bien plus barrées comme JESUS CHRIST VAMPIRE HUNTER. Des excroissances à l'histoire (des spin-off ?) sont même produites avec, entre autres, LA TUNIQUE ou bien encore BARABBAS. Et c'est encore sans compter sur les apparitions plus ou moins marquées à l'écran du personnage dans des métrages plus ou moins sérieux (pour le plaisir, on citera l'excellent LA VIE DE BRIAN)…
Autant dire que LA PASSION DU CHRIST se devait d'adopter une approche nouvelle tout en évitant soigneusement un champ miné par l'intégrisme religieux dont Martin Scorsese a pu faire les frais il y a une quinzaine d'années avec sa DERNIERE TENTATION DU CHRIST. De toutes façons, dans l'esprit de Mel Gibson, très croyant, il faut respecter à la lettre les écritures et représenter l'histoire de façon très réaliste. Le choix est d'ailleurs fait de tourner le film dans les langues d'origine et mortes depuis, telles que l'araméen et le latin. Une idée intéressante mais qui place directement le projet sous un jour peu commercial, puisque la majorité du public américain, mais aussi des autres pays qui pratiquent le doublage, est plutôt réfractaire aux versions sous-titrées. Qu'importe, il est même annoncé pendant un temps que de toute façon, le film ne serait pas sous-titré, limitant à zéro la compréhension des dialogues !
Gros problème, LA PASSION DU CHRIST ne s'adresse finalement qu'à des spectateurs coutumiers de l'histoire du Christ. Ou pour être exact, la portée de l'histoire risque de leur échapper de la façon dont elle a été traitée. Car si le passage le plus emblématique du Nouveau Testament est bel et bien la crucifixion de Jésus, il est loin de résumer à lui seul la vie entière du personnage, en grande partie dévolue à apporter la "bonne parole". Cette bonne parole apparaît de manière fugace dans LA PASSION DU CHRIST par l'entremise de quelques flash-backs qui se résument souvent à une tirade ou une action. Mais encore une fois, extirpés de leur contexte, que peut bien en saisir le spectateur qui n'a pas eu une éducation catholique dans les règles ? C'est limite si l'on peut comprendre que Jésus sauve Marie-Madeleine de la lapidation et vous ne saurez même pas pourquoi… En cultivant cette confusion, les deux heures du métrage ne réussissent à expliciter clairement et graphiquement que la longue mise à mort du personnage. Si LA PASSION DU CHRIST ou Mel Gibson voulait faire passer un message, celui-ci s'en retrouve biaisé, dilué et oublié devant d'autres considérations… Et il est question ici de voir le film avec un sous-titrage pour y comprendre les dialogues !
Dans son souci de réalisme, Mel Gibson s'attèle donc à reproduire de la manière la plus crue et la plus violente le calvaire de Jésus. Le film n'a pas atteint trente minutes que déjà Jim Caviezel s'est fait refaire le portrait. Au bout d'une heure d'humiliations et de coups, on peut même assister à la fameuse flagellation, une très longue séquence qui dépasse l'entendement en matière d'horreur graphique pure. On a connu des films largement plus inoffensifs graphiquement que cette PASSION DU CHRIST, et qui ont pourtant écopé de restrictions bien plus lourdes (seulement "R" aux Etats-Unis ? une simple interdiction aux moins de 12 ans en France ?). Nous ne sommes pas du genre à être choqués par ce type d'images, mais il faut peut-être aussi reconnaître qu'il existe deux poids et deux mesures, puisque des films qui apporteraient bien moins leur lot de cauchemars aux enfants sont parfois affligés d'interdictions plus écrasantes ! L'envie de retranscrire une certaine réalité est souvent louable mais dans le cas présent, il aurait été bien plus pertinent de ne pas nous infliger la seule véracité de la mort de Jésus et de nous faire profiter, aussi, du reste, autrement que sous la forme d'un zapping. Même la résurrection de Jésus (désolé pour la révélation finale) reste en suspend alors qu'il devrait ensuite retrouver sept à onze de ses apôtres en fonction des évangiles consultés pour justement leur dire de continuer à porter la bonne parole.
La violence des images de LA PASSION DU CHRIST ne serait-elle pas finalement une manière de choquer son auditoire ? La fameuse flagellation n'apparaît d'ailleurs pas dans les quatre évangiles officiellement reconnus. Mais il faut croire que les images violentes fonctionnent certainement bien mieux en 2004 que les icônes pastels agrémentées de dorures. Car si l'on peut éventuellement croire à l'honnêteté de Mel Gibson dans sa démarche, assez maladroite pour le coup, il faudrait aussi ne pas oublier que LA PASSION DU CHRIST est une machine commerciale à l'image d'un STAR WARS. On omettra d'évoquer la façon dont le film a cassé la baraque au Box Office américain pour s'intéresser au marketing qui a suivi. Pieusement, vous pouvez depuis la sortie du film faire des achats aussi effarants qu'un porte-clefs en forme de clou (achetez-en trois pour faire bonne mesure) en passant par des pendentifs, anneaux, CD-Audio, tasses et autres objets que nous nous garderons de qualifier de babioles puisqu'ils sont présentés comme des "messages d'espoir". A voir cela, on peut se demander si ce ne sont pas directement les descendants des marchands du temple qui exploitent en ce moment la licence. Le plus surprenant étant encore les pré-commandes, au moment de la sortie du DVD aux Etats-Unis, de packs de 50 destinés aux églises ("50-Unit Church Pack") pour, on l'imagine, être revendus à l'unité à leurs ouailles après le sermon !
On pourra aussi faire la fine bouche sur des bizarreries qui n'apparaissent pas dans les évangiles (le corbeau ? les démons ?). Le film reste donc une vision de Mel Gibson et de son scénariste qui ne colle pas exactement à la lettre aux écrits d'origine tel que c'était annoncé. D'un autre côté, les quatre évangiles sont parfois en légère contradiction entre eux sans compter que leurs rédactions ne datent pas de l'époque où l'histoire s'est déroulée. Quoi qu'il en soit, LA PASSION DU CHRIST est avant tout un film sur lequel Mel Gibson a su s'entourer d'une troupe d'excellents techniciens. Les décors ou les costumes font illusions mais on restera déjà plus circonspect sur des effets de styles (ralentis, accélération…) qui tranchent avec le classicisme habituellement de rigueur pour ce type de récit.
Le DVD de LA PASSION DU CHRIST arrive en France comme dans tous les autres pays dans une version très épurée. Le film est retranscrit dans son format cinéma avec un transfert 16/9 sans faille et assez remarquable. D'un autre côté, il faut préciser que le DVD ne contient que le film et rien d'autre. Deux pistes sonores accompagnent l'image avec des versions originales en Dolby Digital 5.1 et DTS qui sont elles aussi de très haute tenue. La reproduction du film est donc optimale ! Des sous-titrages français et anglais sont présents mais pour ceux qui voudraient tenter l'expérience, il est possible de regarder le film sans aucune aide de ce type, tel qu'il aurait été prévu à l'origine.
En ce qui concerne l'interactivité, on vous arrête tout de suite ! Il n'y a rien de rien… Comme d'habitude chez TF1, on vous liste le choix du son, les sous-titres et le chapitrage. Mais tout cela devrait en réalité faire partie intégrante de tout DVD qui se respecte. Pas de Making Of, pas de bande-annonce… Il faut croire que le film doit se suffire à lui-même. Pourtant, les Making Of existent, les bandes-annonces existent et un photographe de plateau a dû faire son boulot durant le tournag,e ce qui aurait pu amener une galerie de photos. Mel Gibson aurait pu apparaître pour "vendre" son film et s'expliquer sur ses choix, que ce soit en interview ou en commentaire audio. Partout dans le monde, LA PASSION DU CHRIST est donc sorti dans le plus complet dénuement. Etant donné le marketing déjà mis en place, nous ne serions pas surpris de voir sortir du tombeau une version plus flamboyante en termes de suppléments à l'avenir. Pour les plus impatients, un DVD était sorti aux Etats-Unis au moment de la sortie en salles avec justement Mel Gibson s'exprimant sur son film.
Ayant déjà parlé longuement en nos pages de JESUS DE NAZARETH ou de L'EVANGILE SELON ST MATTHIEU, on ne pourra pas nous taxer de vouloir faire du mauvais esprit anti-religieux. Mais si l'emballage, la réalisation technique, de LA PASSION DU CHRIST en fait un film visuellement réussi, il faut bien reconnaître que Mel Gibson passe quelque peu à côté de son sujet en se concentrant sur ce qui est le plus impressionnant mais pas le plus important !