Au début des années 1990, la carrière du metteur en scène irlandais Neil Jordan atteint, en termes de reconnaissance critique et commerciale, son apogée. THE CRYING GAME, film britannique, rencontre un confortable succès aux USA, où il se voit même couvert de récompenses (six nominations aux Oscars, dont celle du meilleur scénario est concrétisée par une statuette). Puis, il dirige ENTRETIEN AVEC UN VAMPIRE, une grosse production américaine, adaptation d'un best seller, qui connaît un succès international. Après ce projet plutôt commercial, Jordan revient à des sujets personnels, avec MICHAEL COLLINS, une fresque historique se déroulant en Irlande, et le sombre BUTCHER BOY. Ces deux titres s'avèrent peu rentables.
En 1999, il retourne à un cinéma a priori plus « bankable » en adaptant le roman "Prémonitions" de Barri Wood pour le compte de la compagnie Dreamworks, fondée au cours de la seconde moitié des années 1990 avec l'ambition d'imposer une nouvelle major hollywoodienne. Neil Jordan se tourne vers Annette Benning, nominée aux Oscars pour LES ARNAQUEURS de Stephen Frears, afin qu'elle interprête le rôle principal. Il fait aussi appel à d'autres comédiens connus, comme Stephen Rea, qui apparaît très fréquemment dans les films de ce réalisateur, et Robert Downey Jr. dont la carrière est alors compliquée par de nombreux procès et cures de désintoxication en tout genre.
Claire Cooper, mariée à un pilote de ligne et mère d'une petite fille, vit tranquillement dans un petit coin de campagne au cœur de la Nouvelle-Angleterre. Pourtant, des visions horribles la tourmentent, visions apparemment liées à une affaire criminelle : dans la région, un maniaque enlève et tue des fillettes ! Mais la police refuse de croire aux pouvoirs surnaturels de Claire. Plus tard, le sadique kidnappe et assassine sa propre fille. Claire tente de se suicider à plusieurs reprises avant d'être internée.
Avec les triomphes du SILENCE DES AGNEAUX et de SEVEN, les années 1990 connaissent une vague d'œuvres mettant en scène des tueurs en série, vague dans laquelle s'inscrit ce PREMONITIONS. Toutefois, ce titre reprend aussi des éléments rappelant des œuvres des années 1970, époque à laquelle les pouvoirs surnaturels, alors très à la mode dans le cinéma fantastique, se trouvaient mêler à des intrigues policières, comme dans les "giallo" L'ALLIANCE INVISIBLE, LES FRISSONS DE L'ANGOISSE et L'EMMUREE VIVANTE, ou le thriller américain LES YEUX DE LAURA MARS.
Le personnage de Claire Cooper travaillant comme illustratrice, elle a ainsi collaboré à un recueil des contes de Grimm. Comme elle est harcelée par des visions oniriques, PREMONITIONS multiplie les références aux contes de fée et, surtout, aux interprétations psychanalytiques qu'ils ont générées, ce qui rappelle immanquablement un des films les plus connus de Neil Jordan : LA COMPAGNIE DES LOUPS. Ce réalisateur joue alors sur de multiples détails symboliques afin de nous faire partager le point de vue de Claire, pour laquelle légende, réalité et rêves se trouvent entremêlés dans la plus complète et la plus douloureuse des confusions. Par exemple, l'histoire de Blanche Neige, dont une séance de théâtre scolaire nous rappelle des détails, donne lieu à de multiples clins d'œil : le tueur semble se réfugier dans un lieu où se trouvent de nombreuses réserves de pomme, le miroir de la méchante Reine a des pouvoirs de voyance...
Pour apporter à son film une atmosphère irréelle reflétant la perception de Claire, Neil Jordan fait appel au chef-opérateur Darius Khondji, formé en France et dont le travail a été largement revélé au public américain grâce à SEVEN. Images sous-marines, ambiances automnales ou séquences aux couleurs désaturées apportent ainsi à ce PREMONITIONS une ambiance raffinée et une finition visuelle de très haute tenue. Par ailleurs, Neil Jordan confirme, à travers certains tours de force exceptionnels (le suicide en voiture, le carambolage à côté de l'asile…), sa maîtrise de la mise en scène.
Malgré toutes ces bonnes intentions et malgré une réunion de talents indéniables, PREMONITIONS laisse le spectateur sur sa faim. La faute, d'abord, à un sujet rabâché, déjà bien traité auparavant, et que Neil Jordan ne parvient pas à réellement renouveler. Son histoire accumule ainsi les problèmes de cohérence. A partir de la mort de la fille de Claire, les policiers pourraient croire aux visions de la femme. Le spectateur s'explique alors mal pourquoi ils la confient à un spécialiste des rêves qui refuse, lui, d'admettre l'existence de ses pouvoirs surnaturels, et met un temps considérable à effectuer les plus élémentaires vérifications ! L'intrigue s'enlise alors, un peu artificiellement, tandis qu'Annette Benning se disperse dans des démonstrations d'hystérie rapidement pénibles. Enfin, la présence d'un Robert Downey Jr. déchaîné, laissant libres court à ses pulsions de cabotinage les moins inhibées, fait s'achever PREMONITIONS sur un dénouement flirtant plus qu'à son tour avec le ridicule.
PREMONITIONS, un triller surnaturel réalisé par Neil Jordan et bénéficiant de moyens confortables ainsi que de comédiens réputés, promet beaucoup, mais ne se montre pas à la hauteur des attentes qu'il provoque. Projet boiteux, mélangeant images splendides et intrigue banale, il connaît un accueil mitigé, aussi bien auprès du public que de la critique.
En DVD, Dreamworks en a sorti des éditions plutôt maigrichonnes. Le disque américain (zone 1, NTSC) propose, en supplément, une bande-annonce, quelques notes de productions et des filmographies. De plus, il ne contient qu'une piste sonore et un sous-titrage en anglais. Voyons ce que propose le DVD distribué en France…
Ce disque contient un télécinéma au format 1.78 (avec 16/9) d'une qualité tout à fait acceptable. Certes, il ne correspond pas à ce que le public attend, aujourd'hui, pour une production récente, particulièrement à cause de ses contrastes et de sa gestion des noirs un peu trop simplifiés. Heureusement, la définition, les couleurs et la belle propreté de la copie suffisent à apprécier convenablement le travail effectué sur l'image de ce film.
La bande-son est proposée en plusieurs langues, dans des mixages 5.1 d'origine, parmi lesquels les versions anglaise et française, très correctes, n'appellent pas de commentaire particulier. Plusieurs sous-titrages, dont un en français, sont disponibles. Pour tout supplément, nous ne trouvons qu'une pauvre bande-annonce, tandis que des notes de productions sont rédigées sur un feuillet placé dans le boîtier du DVD.
C'est peu, mais pas beaucoup moins que le disque américain. De plus, ce disque zone 2 a l'avantage de proposer toutes les options francophones nécessaires.