Manipulée par un eunuque maléfique, une femme ayant le pouvoir de se rendre invisible (Michelle Yeoh) multiplie les enlèvements de nouveau-nés. Tandis que la police piétine, «la justicière volante» (Anita Mui) va tenter de sauver les nourrissons. Aidée par une chasseuse de prime experte en explosifs (Maggie Cheung), la super héroïne cantonaise va rallier la femme invisible pour un combat homérique contre le mal.
Les personnages de films de sabres chinois ayant par essence des compétences extraordinaires, il est du coup rare de rencontrer d'authentiques films de super héros dans le cinéma de Hong Kong. Dans les années 60, nous trouvons certes La Rose Noire, une héroïne masquée experte en arts martiaux (dont le mythe fut ressuscité en 2003 pour la comédie LE PROTEGE DE LA ROSE NOIRE, en français dans le texte). Sinon, il faudra attendre 1996 et l'arrivée de la franchise BLACK MASK de Daniel Lee avec Jet Li, ou encore quelques singuliers efforts comme SILVER HAWK de Jingle Ma avec Michelle Yeoh. En 1993 pourtant, le producteur réalisateur Johnny To tentait déjà de surfer sur le succès américain de la batmania en imposant THE HEROIC TRIO, un film qui sera finalement boudé par le public local mais deviendra culte à l'étranger. Ironiquement, le mélange kung-fu et super héros rencontrera finalement le succès chez les américains avec BLADE ou encore MATRIX.
Outsider du cinéma hongkongais lors de l'effervescence de la première moitié des années 90, Johnny To survie suite aux succès très mitigés de ses œuvres (dont THE HEROIC TRIO). C'est lors de la crise ravageant le cinéma de Hong Kong à l'approche de la rétrocession que l'homme tire son épingle du jeu. Alors que ces compatriotes misent sur l'inflation des budgets pour espérer ramener le spectateur chinois dans les salles, To s'entoure de jeunes talents et produit des films modestes mais pourtant très efficaces (BEYOND HYPOTERMIA, THE LONGEST NITE entre autres). To devient ainsi le seul producteur réalisateur à avoir su tenir la barque de son cinéma en restant à Hong Kong ce qui lui vaut, maintenant que le cinéma local est reconnu à l'étranger, un statut d'auteur de genre comme en témoigne la sélection de son polar BREAKING THE NEWS au dernier festival de Cannes.
L'idée de faire d'THE HEROIC TRIO un film de supers héros féminin vient de la réalité économique, To n'ayant pas les moyens financiers d'engager trois stars masculines. Il engage alors ses interprètes selon l'idée de complémentarité et d'équilibre. L'actrice chanteuse Anita Mui (LE SYNDICAT DU CRIME 3 de Tsui Hark, ROUGE de Stanley Kwan) sera choisie pour sa popularité et ses dons de comédienne, et Michelle Yeoh (POLICE STORY 3 de Stanley Tong, TAI-CHI MASTER de Yuen Woo-Ping) pour ses talents martiaux. Quant à Maggie Cheung (GREEN SNAKE de Tsui Hark, L'AUBERGE DU DRAGON officiellement de Raymond Lee), elle est censée représenter la nouvelle génération, comprenons par là qu'elle est présente ici pour jouer le rôle de la belle pépée.
Pour se prévaloir de scènes d'actions spectaculaires, Johnny To fait appel à Ching Siu Tung pour chorégraphier les combats (leur collaboration sera d'ailleurs tellement étroite que la légitimité de la réalisation du film est à partager entre les deux hommes). Soucieux de donner un style propre à THE HEROIC TRIO, To fait le choix de développer un univers original de rétro-futur où les buildings high-tech côtoient des voitures des années 50. A l'intérieur de ce cadre, le film recycle toutes les ficelles du comic book américain : gadgets à gogo, tension avec la police (les méthodes de la mercenaire jouée par Maggie Cheung n'étant pas très appréciées) ou encore l'identité secrète («la justicière volante» est dans la vie une gentille femme au foyer marié à un musclé inspecteur de police qui ignore tout de sa double vie).
Tout cela serait d'un intérêt très limité si THE HEROIC TRIO n'était pas l'un des films les plus dingos de l'ex-colonie. Reprenant les figures câblées des films de sabres chinois, le film les décuple jusqu'à un paroxysme tout bonnement incroyable pour justifier son registre. En résulte des scènes indescriptibles de folie pure qu'il serait quasiment impossible de résumer. Alors que l'homme de main de l'eunuque (génial Anthony Wong) a pris en otage un hall de gare et décapite les braves gens à l'aide d'une guillotine lançable, nos héroïnes arrivent en trombe sur une moto. Dérapant sur un mur, elle lance littéralement les deux roues au visage du méchant, la machine partant en vrille dans les airs avant de se faire déchirer en deux par l'ennemi. C'est alors qu'un train hors de contrôle défonce le hall de gare et emporte du même coup notre vil homme de main… Voici un exemple parmi tant d'autres de ce qui vous attend à la vision de THE HEROIC TRIO.
Bien entendu, le budget du film est limité. Les grandes ambitions nawakesques de la bande sont donc souvent soumises à indulgences. Les décors sentent le studio à plein nez, et le repaire sous terrain de l'eunuque vaut pour son minimalisme brumeux. Les effets spéciaux sont bricolés avec les moyens du bord, quand ils ne sont pas purement et simplement ratés (voir le remake de TERMINATOR lors du final et son misérable squelette en animatronic). Les supers pouvoirs des personnages se reposent quant à eux sur un découpage et des raccords de montage franchement culottés, et comme de coutume sur la performance physique impressionnante des interprètes.
Malgré ses défauts et maladresses, THE HEROIC TRIO est donc un spectacle formidable et unique. Il pousse la kinétique exaltante du cinéma de Hong Kong dans ses derniers retranchements, jusqu'à un absurde psychotronique irrésistible. Véritable énigme, le film alterne moments cul-cul (l'amourette entre la femme invisible et un scientifique malade) et séquences extrêmes que l'on dirait issues d'un category III (on ne compte plus les enfants trucidés dans le sang et l'urine). Quant à la synergie entre les trois héroïnes, elle vaut autant pour sa complémentarité que pour son érotisme lesbien sous jacent (et purement involontaire). THE HEROIC TRIO c'est donc ça, un spectacle familial ayant muté en film bis incontrôlable. Pour rentabiliser un budget un peu trop lourd, Johnny To tourna une suite dans la foulée, EXECUTIONERS, malheureusement moins enthousiasmante.
C'est chez HK Video que THE HEROIC TRIO se voit édité en DVD couplé avec sa séquelle. Le film répond à la charte de la maison : image optimale (bien qu'un peu granuleuse), son mono d'origine (clair et efficace), et bonus limités compte tenu de sa commercialisation en coffret. Le disque propose des biographies et filmographies détaillées, des bandes-annonces de l'éditeur, une galerie photographique, et même une courte présentation de Johnny To en personne qui revient sur les deux films et nous fait les confidences de quelques anecdotes (pourvu que Maggie Cheung ne tombe pas dessus !). A noter que le disque contient un doublage en français, à éviter malgré tout.
On se souvient de Jean-Pierre Léaud en réalisateur raté dans IRMA VEP d'Olivier Assayas, avachi dans un fauteuil devant un téléviseur diffusant un extrait de THE HEROIC TRIO, déclarant en transe que la jeune femme qu'il voyait se battre à l'écran était l'incarnation moderne de Musidora. Non content de nous offrir une autoroute de scènes cultes, THE HEROIC TRIO nous offre de francs moments de rigolades aux travers d'autres films. Un classique, franchement tordu certes, mais classique quand même !