Header Critique : Les Crimes du Futur (Crimes of the Future)

Critique du film
LES CRIMES DU FUTUR 2022

CRIMES OF THE FUTURE 

Grand nom du cinéma d'horreur des années quatre-vingts, au même titre qu'un John Carpenter ou un Wes Craven, David Cronenberg se détourne du mélange de science-fiction et d'épouvante qui a fait son succès après EXISTENZ en 1999. Il explore ensuite divers genres comme le drame psychanalytique (SPIDER), le thriller violent (A HISTORY OF VIOLENCE) ou le film de gangsters (LES PROMESSES DE L'OMBRE).

Dans A DANGEROUS METHOD en 2011, il met en scène Carl Jung et Sigmund Freud dans un film historique. Ce qui n'est pas surprenant, la psychanalyse ayant irrigué son cinéma, de CHROMOSOME 3 à FAUX-SEMBLANTS, de SPIDER à CRASH. Mais le public et la critique se lassent, les films de Cronenberg trahissent des budgets plus modestes et ont moins de retentissement. Suivent ainsi COSMOPOLIS, porteur de légers éléments d'anticipation, puis MAPS TO THE STARS en 2014, peinture trash des mœurs de Hollywood, à base de traumatismes et d'incestes. En 2016, il sort le roman «Consumés» et annonce vouloir se détacher du cinéma. Parallèlement, son fils Brandon Cronenberg réalise des métrages de science-fiction puisant dans les souvenirs paternels avec ANTIVIRAL, puis avec POSSESSOR qui reçoit un bel accueil critique.

David Cronenberg revient donc aux affaires en 2022 avec LES CRIMES DU FUTUR, basé sur un scénario ébauché au début des années 2000. Coproduit par la Grèce, le film est tourné à Athènes, ville à laquelle Cronenberg donne une tonalité post-apocalyptique inattendue. Il retrouve pour la quatrième fois l'acteur américain Viggo Mortensen, ici dans le rôle de l'artiste Saul Tenser. Léa Seydoux (LA BELLE ET LA BÊTE, MOURIR PEUT ATTENDRE) incarne Caprice, son assistante. Nous retrouvons à leurs côtés des acteurs familiers comme Kristen Stewart (TWILIGHT) et Scott Speedman (UNDERWORLD). David Cronenberg travaille de nouveau avec deux de ses collaborateurs clés depuis plus de quarante ans : la directrice artistique Carole Spier et le compositeur Howard Shore.

Dans le futur, Saul Tenser est un artiste réputé. Ses performances consistent en l'ablation en public d'organes tumoraux générés par son organisme. Une nouvelle police recense et contrôle justement les mutations humaines et approche Saul Tenser. Parallèlement, un groupuscule secret se livre à d'étranges expériences chirurgicales.

LES CRIMES DU FUTUR est donc le retour à la science-fiction pour David Cronenberg, ainsi que la peinture d'un univers mi-anticipation, mi-contemporain. Le film s'affiche comme un exercice réflexif sur la carrière de son metteur en scène. Ainsi, il reprend le même titre que son second long-métrage expérimental : CRIMES OF THE FUTURE sorti en 1970.

LES CRIMES DU FUTUR se déroule dans un futur étrange, décrépi, dans un pays indéfini où les plages sont parsemées d'épaves rouillées et les villes parcourues par des ruelles obscures. Nous assistons au retour des objets cronenbergiens, ces outils mi-mécaniques mi-organiques, comme le pistolet à dents d'EXISTENZ, la machine à écrire insectoïde du FESTIN NU ou les outils chirurgicaux de FAUX-SEMBLANTS.

Ici, nous avons un lit étrange qui réagit aux besoins de l'organisme du dormeur, ainsi qu'une chaise qui « facilite » la digestion du mangeur. Surtout, Saul Tenser effectue ses performances sur une étrange table d'opération, laquelle s'avère une table d'autopsie hyper-sophistiquée détournée de son usage.

Saul Tenser est un artiste très particulier. Son corps génère, semble-t-il à volonté, des organes parasites qu'il se fait alors extraire devant un public trié sur le volet. Cronenberg évoque alors les souvenirs de son propre cinéma avec ses parasites (FRISSONS), ses tumeurs (CHROMOSOME 3) et ses mutations en tous genres (LA MOUCHE). Ces dernières relèvent ici autant de l'expérience scientifique que de l'expression artistique - voire macabre (nous pensons aussi à CRASH, avec ses personnages qui reconstituent des accidents célèbres). Cronenberg s'inspire alors de vrais artistes contemporains, comme Orlan qui fait filmer les opérations de chirurgie esthétique qui lui sont infligées.

L'art de Saul Tenser naît de sa souffrance, de son agonie. Ses organes sont des mutations générées par son corps, à l'instar d'un cancer qui le rongerait petit à petit et lui infligerait une douleur constante. Il est concurrencé par d'autres artistes qui se font greffer délibérément des organes nouveaux, au nom d'une esthétique étrange et provocante, parfois sincère, parfois bidon, parfois teintée d'une érotomanie bizarre.

Saul Tenser porte un regard critique sur l'univers dans lequel il évolue. Un regard critique qu'on peut recouper avec celui de David Cronenberg lequel a déjà porté des jugements sur les sujets qu'il aborde – comme la valeur artistique du jeu vidéo dans EXISTENZ par exemple. Ici Saul Tenser se trouve en porte-à-faux avec le monde qu'il côtoie, notamment en terme de morale. Où commence la beauté ? Où démarre la fumisterie ? Quand est-on dans l'expression personnelle ? Quand passe-t-on à l'auto-promotion racoleuse?

Par opposition, Caprice, l'assistante dévouée de Saul Tenser, approche l'art corporel d'une manière plus émotionnelle, dans le ressenti, guidée par ses émotions et son intuition. Elle est convaincue de la valeur de ce que fait Saul Tenser et veut s'en inspirer pour sa propre carrière. Mais elle se distingue de lui car elle ne se pose pas les questions de la légitimité artistique ou du jugement moral.

Au-delà de questions esthétiques provocatrices, l'univers de Saul Tenser pose des questions plus profondes sur l'avenir de l'humanité. A force de triturer, de manipuler le corps humain, à force de générer de nouveaux organes dans des démarches plus ou moins artistiques, elle prend le risque de créer une race mutante, l'entraînant vers un futur où le meilleur pourra flirter avec le pire. Nous retrouvons alors les sociétés secrètes, les guerres souterraines et politiques de l'univers de Cronenberg, brassant des souvenirs de CHROMOSOME 3, VIDEODROME et autres SCANNERS, au gré de complots et de divers agents doubles.

Avec LES CRIMES DU FUTUR, Cronenberg replonge dans l'anticipation pessimiste et la body horror qui ont fait son succès, prolongeant de manière intéressante son œuvre antérieure. Dépeignant un monde futuriste étrange, personnel, il propose aussi des moments chocs forts. Une partie du métrage évoque ainsi l'exploitation du cadavre d'un jeune garçon !

Pourtant, en dépit d'idées intéressantes, LES CRIMES DU FUTUR donne une impression de mollesse, de distance. Manquant d'unité, il se disperse parfois dans des sous-intrigues peu claires (le concours de « beauté intérieure », la nymphomane introvertie incarnée par Kristen Stewart). Il ne retrouve pas l'impact émotionnel et provocateur d'un VIDEODROME ou d'un CRASH en leur temps.

Imparfait, un brin long, LES CRIMES DU FUTUR offre pourtant une mise à jour intéressante du regard de Cronenberg sur le futur. Le futur de la psyché de l'humanité à travers sa perception de l'art et des corps. Son futur biologique aussi, avec les opportunités ouvertes par les greffes d'organes et les mutations génétiques aux infinies potentialités.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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