CINEMA : SWEENEY TODD, LE DIABOLIQUE BARBIER DE FLEET STREET

31 janvier 2008 
CINEMA : SWEENEY TODD, LE DIABOLIQUE BARBIER DE FLEET STREET Un homme (Johnny Depp) est condamné à tort par un ignoble juge (Alan Rickman) qui souhaite s'emparer de sa belle et jeune épouse. Les années passent et notre héros revient à Londres pour se venger. Une rencontre avec une bien étrange veuve (Helena Bonham Carter) pourrait faire aboutir ses ténébreux projets, la mystérieuse dame n'hésitant guère à proposer à son nouvel ami de confectionner des tartes farcies de chair humaine.

Inspirée d'un fait divers dont la véracité demeure encore problématique, cette sombre histoire de cannibalisme connaît maintes adaptions. Littéraires (entre autres "The String of Pearls", Thomas Peckett), théâtrales (Sweeney Todd, the demon Barber of Fleet Street à Londres en 1847) et cinématographiques (notamment le film éponyme de Georges King datant de 1936 ou le téléfilm de Dave Moore réalisé en 2006) ; les variations du mythe urbain se multiplient au fil du temps. Si certaines de ces oeuvres marquèrent leurs contemporains, la pièce écrite par Christopher Bond en 1973 et transformée sous la forme de comédie musicale six années plus tard fait office de référence. La création de Stephen Sondheim appréhende ladite légende dans une perspective baroque naturellement encline à octroyer aux principaux protagonistes un véritable charisme. Ainsi la démesure singularise-t-elle des êtres hors normes aux prises de passions fatales. Une telle thématique tend à justifier la présence du réalisateur Tim Burton aux commandes du film. Le chantre de l'excentricité et des problèmes socio-sentimentaux corrélatifs n'eut pourtant pas la primeur du projet. Après Rob Marshall en 2003, Sam Mendes s'attelle à la tâche en compagnie des scénariste John Logan, compositeur Stephen Sondheim et producteurs Laurie MacDonald, Walter Parkes et Richard Zanuck. Quelques années d'écriture conduisent au désistement du premier lequel laisse définitivement sa place au géniteur d'EDWARD AUX MAINS D'ARGENT. L'artiste décide d'emblée de s'entourer d'"intimes" tels le monteur Chris Lebenzon, le maquilleur Ve Neill ou la costumière Colleen Atwood. Le compositeur de la musique originale, Stephen Sondheim, compense largement l'absence de Danny Elfman tandis que Johnny Depp ainsi qu'Helena Bonham Carter restent fidèles à leur alter égo.

De prime abord, SWEENEY TODD affiche une esthétique gothique qui ne surprendra guère les fans de Burton. Des personnages exubérants s'aiment, se perdent, s'enlacent, voire s'affrontent au sein d'une Londres dickensienne, le tout sous l'oeil vigilant d'une caméra qui, de travellings en panoramiques ou en gros plans, ne nous épargne aucun détail. À ce titre, le sang afflue, gicle, éclabousse visages, vêtements et pierres sans pour autant nous dégoûter. Irréaliste comme ses initiateurs, la violence implique une filiation grand-guignolesque assumée. Parfaitement équilibrés, les tableaux s'enchaînent au rythme d'une bande originale souffrant de prestations aléatoires. Tout juste correct sur ce point, Johnny Depp parvient à combler ses évidentes lacunes par son jeu d'acteur . En effet, le comédien partage avec Lon Chaney Sr et Peter Lorre, une aptitude à suggérer via un regard ou un geste, une gamme d'émotions contradictoires. Grandiloquente et pathétique, la folie s'appréciera comme l'expression ultime d'un désespoir irrémédiable. Le désarroi de l'être débouche sur l'anéantissement de la raison au bénéfice des pulsions morbides. Vus sous cet angle, les meurtres relèvent davantage d'une catharsis en son acceptation tragique (expiation des passions) que d'une simple revanche. Face au héros, le juge représente l'extrême médiocrité d'un désir exempt d'amour. La chose pourrait paraître d'ailleurs compréhensible au regard d'une pupille (Jayne Wisener) pour le moins insipide. En revanche, Helena Bonham Carter nous livre une performance (enfin) à la hauteur de son talent. L'ambiguité de cette veuve aussi cruelle qu'amoureuse fait presque passer au second plan la verve destructrice du barbier. Principal ressort d'un humour noir fort bienvenu dans ce contexte, la dame échappe à la caricature en jouant sur la duplicité troublante de l'héroine. Ses duos avec Sweeney Todd ou en compagnie du jeune apprenti figurent parmi les plus belles chansons du métrage. Grave ou subtilement fluette, la voix de notre beauté funèbre suscite la sympathie, l'émoi ou même le rire, prouvant s'il en était besoin l'énorme potentiel de l'actrice et de son rôle. La chose explique très certainement et paradoxalement les relatifs mais indéniables points faibles d'une oeuvre parfois impersonnelle. À trop miser sur les déboires sentimentaux de Sweeney Todd, la trame néglige ceux, plus intéressants, de sa complice. Certes bouleversante, l'histoire du veuf n'explique pas d'elle seule sa monstruosité finale. Peu crédible et donc inapte à provoquer l'identification du spectateur, le parcours psychologique de l'homme souffre d'une ellipse - les années précédents son retour dans la capitale britannique - fortement préjudiciable. Équivalent épique ou dépressif du Edward d'EDWARD AUX MAINS D'ARGENT, Sweeney Todd ne subit pas la société mais la provoque pour une cause, certes valable théoriquement, mais insuffisamment mise en exergue. Aussi s'approche t-on ici d'une caricature des maints laissés pour compte chéris par notre cinéaste ultérieurement. D'où l'impression d'assister à une suite de magnifiques tableaux au détriment d'une émotion laquelle, malgré le genre dont il s'agit ici, aurait nécessité un scénario plus rigoureux. Un bel hommage aux fleurons de la Hammer et du gothique italien, quelques chansons vraiment "prenantes" et l'enthousiasme toujours intact d'un réalisateur génial suffisent pourtant à faire du dernier film de Tim Burton un excellent spectacle... à prendre comme tel.


Cécile Migeon

Sortie cinéma le 23 janvier
Site officiel : http://wwws.warnerbros.fr/sweeneytodd/

Rédacteur : Christophe Lemonnier
Photo Christophe Lemonnier
Ancien journaliste professionnel dans le domaine de la presse spécialisée où il a oeuvré durant plus de 15 ans sous le pseudonyme "Arioch", il est cofondateur de DeVilDead, site d'information monté en l’an 2000. Faute de temps, en 2014, il a été obligé de s'éloigner du site pour n'y collaborer, à présent, que de manière très sporadique. Et, incognito, il a signé de nombreuses chroniques sous le pseudonyme de Antoine Rigaud ici-même.
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