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Critique du film
GATEN RAGNAROK 2013

 

Sigurd (Pål Sverre Hagen) est un archéologue veuf passionné de culture nordique. En analysant les runes trouvées dans l'un des navires du Musée des vaisseaux vikings d'Oslo, il a peut-être trouvé la clé du secret de Ragnarok, le mythe de la fin du monde. Son ami Allan (Nicolai Cleve Broch) trouve en parallèle une étrange pierre qui se révèle être une carte. Avec ses enfants, ils partent en expédition pour le Finnmark sur les traces de l'œil d'Odin, le premier indice notable. Ce qui se voulait être une randonnée familiale devient une dangereuse aventure.

Le cinéma commercial norvégien s'enhardit et enchaîne les succès : MAX MANUS, la trilogie FRITT VILT (COLD PREY dans nos contrées), TROLL HUNTER, HEADHUNTERS ou encore le récent KON TIKI nominé aux oscars. Le producteur Martin Sunland a réuni un budget de 40 millions de couronnes (environ 5 millions d'euros) pour produire ce qui se veut le premier film d'action/aventure norvégien d'envergure. Sortie-événement le 4 octobre 2013 en Norvège, il était difficile sur place d'échapper au déluge de publicité. Pas une affiche, une publicité, un journal qui ait son moment Ragnarok. Même le musée Historique d'Oslo y allait de son kakemono extérieur! De ce fait, la couleur a été annoncée : le film s'inspire clairement de métrages comme JURASSIC PARK, BENJAMIN GATES ET LE TRESOR DES TEMPLIERS, LES AVENTURIERS DE L'ARCHE PERDUE avec une touche de Dan Brown, comme l'indique Martin Sundland dans le journal Dagbladet. Le cinéma national n'a pas connu de tel exemple mais, ces dernières années, nombre de films locaux ont connu un succès énorme au box-office et se sont très bien vendus à l'étranger. Le temps de passer à la vitesse supérieure ?

La volonté affichée de marcher sur les traces prestigieuses de ses aînés est une arme à double tranchant. Il faudra livrer un niveau technique haut de gamme tout en respectant un formule bien huilée qui tend vers le produit familial. Alors, qu'avons-nous avec GATEN RAGNAROK (littéralement en français : «L'énigme Ragnarok»)?

Techniquement, le film demeure irréprochable. Un format Scope utilisé à merveille : les splendeurs naturelles du Finnmark sont captées avec une extrême majesté. L'arrivée sur la rivière et le plan final assurent un spectaculaire savoir-faire visuel. La photographie assurée par Daniel Volheim sait apporter la dimension nécessaire au métrage : couleurs froides à l'arrivée de l'avion, des sources de lumière et contrastes complexes dans les scènes finales de combat. Ce qui rappelle le travail effectué sur INTO THE WHITE et COLD PREY de Roar Uthaug (futur auteur de BøLGEN, le premier film catastrophe norvégien, prévu pour 2015). Ce dernier figure également au générique en qualité de réalisateur de la seconde équipe, ce qui ne semble donc pas un hasard. Idem pour la partition de Magnus Beite, musicien ayant œuvré sur la trilogie COLD PREY mais aussi le récent DAGMAR L'AME DES VIKINGS. Ample, riche en instruments et en orchestrations, elle soigne la dynamique de l'ensemble. Enfin, Mikkel Brænne Sandemose reste par ailleurs l'auteur de COLD PREY III... la boucle est bouclée.

Le réalisateur emballe les 96 minutes avec aisance, soigne son cadre et dirige les acteurs de manière adroite. L'excellent Pål Sverre Hagen, brillant dans la série télévisée BUZZ ALDRIN ou encore dans KON-TIKI, établit son personnage de manière posée et déterminée : un héros tranquille et impavide. Le jeu naturel du reste des acteurs est au diapason. Si bien qu'avec ceci, le rythme régulier génère un intérêt constant : on ne ressent pas d'ennui. L'ensemble procure même un évident plaisir visuel et sonore. A noter que le mixage entendu lors de la projection dans la salle 1 du cinéma Colosseum d'Oslo permettait de profiter des rugissements sauvages de la créature à travers toutes les enceintes. Effets stéréophoniques de premier ordre et tournoyant dans l'ensemble de la salle. Très impressionnant !

Car il s'agit bien d'un film de monstre, un «creature feature» pour la vente à l'international. Visuel de crânes percés, de squelettes qui peuvent étonner pour d'autres pays que la Norvège, vue que la cible est familiale.

Tout s'assemble pour créer l'événement avec succès à la clé. Pourtant, la vision du film n'émeut pas plus qu'elle ne transporte réellement. Il s'agit de l'autre aspect tranchant. A force de puiser son inspiration dans de plus ou moins illustres modèles pour s'assurer le succès public, on s'écarte forcément et totalement de l'originalité. C'est là où le bât blesse, car le spectateur a vraiment l'impression d'assister à un festival de déjà-vu. Et on se dit qu'il est dommage que les auteurs manquent d'audace. Celle si présente dans la forme et le fond d'un TROLL HUNTER de très solide facture qui reste ici singulièrement absente dans GATEN RAGNAROK. Faute au public visé ? Aux risques financiers importants ? Probablement un peu des deux !

Le scénario s'arroge peu d'originalité dans la forme et le propos. Certes, le début s'avère le plus intéressant. D'abord dans la construction habile des relations entre le père réfugié dans sa valeur travail jusqu'à oublier les préoccupations de ses enfants. Puis dans l‘agencement des scènes nouant l'intrigue mêlant découverte mystérieuse d'une pierre viking dans le Finnmark qui se mue en carte. Puisant ses racines dans les légendes nordiques, avec moult références et précis d'archéologie en suspens. Le film ne souhaite bien sûr pas faire un cours magistral de culture nordique, ce qui implique que la réalité se sacrifie à l'autel de l'action. Logique. Les références à la présence russe abondent, sorte d'ombre de cette région septentrionale à la frontière russo-norvégienne. Ce qui n'est pas sans rappeler un excellent thriller norvégien de 1985, ORIONS BELTE. Maintenant, il faut faire son deuil d'un film au ton sérieux, direct et qui pourrait faire peur. Le but demeure clairement ailleurs, via d'abord la présence des deux enfants qui deviennent quelque peu irritants. Obligatoire pour le versant drame familial et les bons sentiments qui en découlent mais totalement inutile à l'action même. Idem pour le monstre : magnifique dans son animation, avec le principe cormanien appliqué à la lettre (ne jamais le révéler en début de métrage), et une première apparition spectaculaire ! Le souci, pour un «creature feature» même familial, c'est qu'on a l'impression d'un «trop peu, tard tard». On ne sent jamais vraiment un quelconque danger et même si le dernier quart d'heure offre son lot d'action, de spectacle, de cascades et de montée en pression, le monstre ne fait jamais peur. Une absence d'enjeux réels, hélas.

Des films de monstres géants, le cinéma et les DTV croulent sous les adaptations. Ne serait-ce que le tout frais LA CRYPTE DU DRAGON tourné quasi simultanément avec GATEN RAGNAROK. Film de monstre légendaire dont les humains transgressent l'univers naturel... pour une structure de progression dramatique quelque peu similaire. Très gros avantage à GATEN RAGNAROK pour le soin et l'aspect cinéma mais, en dehors de cela, tout parait plié et prévisible dès le premier quart d'heure. Le sujet, les relations entre le père et ses enfants, la rencontre avec la belle Elisabeth (Sofia Helin) transpirent tellement l'admiration spielbergienne, au point que l'on sait d'office comment se terminera la vie de ce veuf éploré et de sa fille à problèmes. La Structure familiale en voie d'être recomposée avec succès. Et les ressemblances/emprunts sont loin de s'arrêter là.

Les amateurs de films de genre pourront aisément faire leurs comptes. Il y a donc forcément une touche d'Indiana Jones pour la trame de l'archéologue dans sa quête de percer un mystère séculaire. Puis JURASSIC PARK pour le monstre, l'Ile, jusqu'à même s'inspirer de sa suite pour la séquence de la cabine entraînée vers l'eau avec les enfants à l'intérieur. Un soupçon des DENTS DE LA MER, un peu de THE DESCENT, une pincée de GORGO et une grosse louchée de SOLITAIRE pour à la fois la séquence de la tyrolienne de fortune afin de passer au-dessus de l'eau et la séquence finale de bataille dans la grotte. La seule nouveauté résiderait dans ces notions de respect de l'ordre naturel, de la nature en elle-même. Silencieuse, intraitable. Le souci et les regrets que nous pouvons avoir concernent cette intrigue passe-partout composée de thèmes et de ressorts dramatiques déjà utilisés ailleurs. Volontairement ou pas, cette sensation tempère les qualités techniques évidentes déployées le long du métrage.

Ainsi, à l'instar de la trilogie COLD PREY pour le slasher horrifique, GATEN RAGNAROK emprunte les mêmes codes du cinéma familial d'aventure. Il joue une partition identique sans tenter d'en transcender la génétique. Certes, la thématique viking reste une nouveauté et les décors choisis assurent un dépaysement total. Dommage que les auteurs n'en aient pas profité pour dépoussiérer le genre jusqu'au bout et proposé un produit standard, avec une technique au point mais n'offrant pas de réelle originalité dans le déroulement narratif et ses choix assumés d'inspiration d'œuvres passées. Ceci posé, on assiste à un spectacle agréable, visuellement très soigné et qui assume et célèbre ses origines aussi bien nordiques que Lucasso-spielbergiennes.

Rédacteur : Francis Barbier
Photo Francis Barbier
Dévoreur de scènes scandinaves et nordiques - sanguinolentes ou pas -, dégustateur de bisseries italiennes finement ciselées ou grossièrement lâchées sur pellicule, amateur de films en formats larges et 70mm en tous genres, avec une louche d'horreur sociale britannique, une lampée d'Albert Pyun (avant 2000), une fourchettée de Lamberto Bava (forever) et un soupçon de David DeCoteau (quand il se bouge). Sans reprendre des plats concoctés par William Friedkin pour ne pas risquer l'indigestion.
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