Header Critique : FORBIDDEN ZONE (LE CHAT QUI FUME)

Critique du film et du DVD Zone 2
FORBIDDEN ZONE 1980

LE CHAT QUI FUME 

En 1983, la France découvrait le premier film de Richard Elfman, FORBIDDEN ZONE. Voilà déjà plus de trois ans que l'oeuvre avait acquis auprès de la critique et d'un certain public américain une renommée qui ne faiblira pas au fil du temps. Difficilement trouvable sur notre territoire et comprenant divers artistes dont le talent se précisera ultérieurement, le métrage bénéficie d'une réputation d'abord subordonnée à son statut de rareté. Étranges paradoxes que ces petites productions cultes nourries au préalable par les fantasmes d'un spectateur d'autant frustré ici qu'interpellé par la présence du grand Danny Elfman au générique. La chose reste assez rare pour être énoncée de suite : FORBIDDEN ZONE répond à nos attentes, voire les surpasse. À l'origine du projet, le frère du célèbre compositeur décide en 1977 de mettre sur pellicule les sketchs musicaux effectués par une joyeuse troupe de comédiens et musiciens, les Mystic Knights of the Oingo Boingo. Inspirées du Grand Magic Circus créé par le français Jérôme Savary, les représentations se déroulaient dans de petits théâtres ou universités parfois choqués au vu de parodies pourtant bien anodines. Pour immortaliser ces performances scéniques, Richard Elfman et Matthew Bright (FREEWAY, TED BUNDY) s'entourent des principaux intéressés lesquels cumulent plusieurs fonctions. Scénaristes et acteurs, les deux comparses donnent la réplique à Marie-Pascale Elfman, également décoratrice. Colocataire de Matthew Bright, Hervé Villechaize (TANGO MACABRE, L'HOMME AU PISTOLET D'OR, L'ÎLE FANTASTIQUE) interprétera le roi de la Sixième Dimension, fonction qu'il partagera avec sa véritable compagne, Susan Tyrrell (LA CHAIR ET LE SANG, CRY-BABY). Cette dernière donne la possibilité à son ami Joe Spinell (MANIAC, LA NEUVIEME CONFIGURATION, STARCRASH) d'avoir un petit rôle. Le reste de la distribution se composera essentiellement des membres des Mystic Knights (devenus les Oingo Boingo) sans oublier l'apport non négligeable de John Muto (LA MUTANTE, TERMINATOR 2) quant à l'animation. En dépit d'un enthousiasme débordant, l'équipe mettra plusieurs années avant de terminer ce qui entre autres constitue l'un des fleurons du film musical dit “décalé”.

Fraîchement rentrée de France, Frenchy (Marie-Pascale Elfman) décide de s'aventurer dans l'univers intercalaire que couvre la demeure familiale. Charmé par la nouvelle venue, le roi de la Sixième Dimension (Hervé Villechaize) délaisse sa femme (Susan Tyrrell) laquelle ne compte pas en rester là...

Les titre et résumé du film laissent présupposer que notre cinéaste soumet d'emblée son cadre référentiel à la scission classique entre univers “réel” et monde fantaisiste. “Alice au pays des merveilles” (Lewis Carroll, 1865), “Casse-noisette et le Roi des souris” (Hoffmann), LE MAGICIEN D'OZ (Victor Fleming, 1939) ou LA QUATRIÈME DIMENSION (Rod Serling, 1959-1964) ; la thématique d'une inquiétante duplicité spatiale demeure récurrente dans l'art occidental. Néanmoins, l'oeuvre de Richard Elfman s'écarte de la tradition en vue de confronter deux sites a priori indépendants mais pareillement fantasques. D'une part, les membres tous azimuts d'une famille américaine notamment constituée d'une belle intrépide, d'un frère benêt, d'une matrone particulièrement violente ou d'un grand-père lubrique. À ce titre, un simple repas familial occasionnera des vomissements, cavalcades et autres “prouesses” du type. L'école municipale abrite des personnages similaires, tels une institutrice poilue munie d'une mitraillette ou un Hitler en culotte courte. Entre un jeune lâche évidemment porté à converser avec une poule, une mère indigne n'hésitant guère à asperger son fils de whisky ou des mexicains dansant en pleine rue, la mimèsis s'éloigne des codes du réalisme conventionnel afin de nous plonger au sein d'un quotidien bien peu crédible. Les formidables décors expressionnistes créés à l'occasion par Marie-Pascale Elfman assoient cet onirisme en ajoutant une touche de poésie non négligeable. Déstructurée, l'architecture des bâtisses reflète l'étrangeté d'une population d'autant insaisissable qu'affranchie des principaux préceptes moraux qui fondent nos sociétés. Gesticulant, chantant, grimaçant, les protagonistes se laissent vivre au gré des événements et des affects, façon de renouer avec leurs origines clownesques. La gestuelle est ainsi privilégiée pour contenter les fans de cirque ou d'un comique affilié. Les Marx Brothers, Trois Stooges (“Alphabet Song”) ou Betty Boop alimentent donc un intertexte burlesque qui, de dégringolades en pirouettes ou déhanchements, prête à sourire sinon à rire. Les scènes d'animation s'inscrivent dans cette dernière optique. Fasciné par le travail de Terry Gilliam et ses fameux trucages photos, John Muto nous offre des séquences d'anthologie. Descente épique dans les méandres funèbres de la Sixième Dimension (générique), glissade au sein des circonvolutions d'intestins géants ou voyage galactique ; John Muto matérialise nos rêves et nos cauchemars les plus fous avec une virtuosité dont les superbes contrastes noirs et blancs illustrent l'excellence. À l'image de ses résidents, la petite ville ne fait l'objet d'aucune taxinomie précise car appréciée via de multiples parodies, esthétiques ou procédés de mise en scène. Il en va de même en ce qui concerne la Forbidden Zone.

Conformément à ses décors “art déco”, le “No man's land” affiche une décadence entretenue, pour ne pas dire cristallisée, par une communauté de “freaks”. Un nain, des obèses, des jumeaux, une sadique, un lampadaire vivant ou une grenouille “humanisée” singularisent une collectivité tendant à réagir suivant ses sentiments et ses pulsions au détriment du raisonnement. Les habitants du monde parallèle mangent, bougent, forniquent, torturent, se battent et se dénudent, manière de donner libre cours à leurs fantasmes ou leurs désirs primaires sans se soucier des convenances. Toutefois, cette joyeuseté générale sous-tend un épisode tragique en l'infidélité du roi. Abandonnant sa femme pour la plus jeune et belle Frenchy, Fausto exacerbe une jalousie dont l'expression démesurée n'atténue pas la sympathie du spectateur. Expansive et parfois grotesque, la pauvre Doris aime sincèrement le nain, passion à l'origine d'un certain nombre de séquences fort émouvantes. Une course sur une immense table suivie d'un accouplement assez étrange préfigurent la merveilleuse peinture des deux amants dormants et enlacés. Deux trois regards, des cris et une chanson (“Queen's Revenge”) donnent la mesure d'une souffrance universelle, celle éprouvée par le conjoint trompé. De manière générale, FORBIDDEN ZONE octroie au thème du monstrueux et au motif carnavalesque l'ambiguité auparavant présupposée par une littérature romantique encline à concevoir l'excès et la difformité comme de puissants générateurs d'humanité et de beauté.

De fait, cette valorisation de la multiplicité explique l'extrême richesse d'une bande musicale, juxtaposant morceaux originaux, transformés et simplement repris. Les premières créations instrumentales de Danny Elfman confèrent au film une mélancolie presque opposée à des compositions davantage “pop”, directement liées au style des Mystic Knights. Prédominance des cuivres, rythmiques tonitruantes et vocalises impressionnantes (Danny Elfman dans “Forbidden Zone Theme”, “Queen's Revenge” ; Susan Tyrrell dans “Queen's Revenge”, “Yiddishe Charleston”, “Witch's Egg” ; Marie-Pascale Elfman dans “Queen's Revenge”) suscitent l'admiration du mélomane. Réinterprétées, “Minnie the Moocher” (Cab Calloway) ou “Yiddishe Charleston” confirment le potentiel de chansons toutes à la fois fédératrices et personnelles. Enfin, “La Petite Tonkinoise” (Joséphine Baker) ou “Pico and Sepulveda” (Boulevard Stompers) prouvent le bien-fondé d'un play-back judicieusement exploité. Hétéroclite, la bande originale coïncide avec la thématique d'un métrage chargé de célébrer l'ultime et bienheureuse rencontre, sinon des contraires, du moins des “singuliers”.

En cela, FORBIDDEN ZONE adopte un parti pris distinct du postulat généralement avancé par les oeuvres traitant des êtres exceptionnels. FREAKS (Tod Browning, 1932), THE ELEPHANT MAN (David Lynch, 1980) ou EDWARD AUX MAINS D'ARGENT (Tim Burton, 1990) visaient à stimuler la compassion du spectateur en opposant la Bizarrerie à une norme intransigeante. Venus, l'Angleterre victorienne ou la banlieue américaine cherchent à exclure ceux qui ne correspondent guère à leurs critères physiques et à la bienséance par peur d'être remises en cause. L'oeuvre de Richard Elfman ne pose aucun canon afin d'invalider le concept même de “différence”. Chaque personnage revendique sa singularité et l'univers d'en haut parait aussi dément que son équivalent infernal. Appréhendée en tant que telle, l'unicité induit une confrontation avec autrui souvent très drôle. Un nain et une imposante dame, une grenouille et une sublime demoiselle ou l'égérie d'Andy Warhol (Viva) avec une femme (Susan Tyrrell) que n'aurait pas reniée John Waters. Affranchi du “politiquement correct” (y compris de la “discrimination positive”), FORBIDDEN ZONE exclut toute interprétation philosophique au bénéfice du pur spectacle. Vue sous cet angle, la dialectique qui accordait au lieu intercalaire une fonction réflexive (image inversée d'une société donnée) se réoriente vers une logique identitaire.

La Sixième Dimension constitue une excroissance de l'Amérique parodiée, espèce de prolongement rétrospectif des tares et qualités mises en exergue au cours des scènes qui se déroulent en ville. Américains dégénérés (famille), jeunesse dépravée (école rassemblant des archétypes nationaux comme les incontournables blousons noirs, l'institutrice frustrée, l'homosexuel refoulé, les gangsters typiques de la blackploitation...), immigrés (mexicains) ou mère indigne ; la caricature s'attache à dévoiler maints aspects d'une culture laquelle renoue avec ses origines via la Forbidden Zone. En effet, le vieux continent se trouve ici fantasmé de manière équivalente. Le roi de pacotille, la table bien garnie, le peintre doté de son inévitable béret et la délicieuse Frenchy réfèrent à l'exotisme français tel qu'il s'impose de par le monde. Certains motifs soulignent ce processus de régression en exprimant une genèse religieuse (Christ, rabbin), historique (Sphinx) ou cinématographique (salle de torture médiévale traversée par des vierges nues rappelant le gothique italien). Symbole d'une décadence “civilisée”, l'Europe felinienne explique la dégénérescence de son enfant étoilée sans pour autant la condamner. Au contraire! L'amour ou même l'admiration redéfinissent une relation où chaque parti observe d'un œil bienveillant la douce folie et les excès de l'autre en remerciant le Ciel, la Génétique ou bien l'Histoire d'avoir donné naissance à des humains et des cultures si différents et... délirants.

Si nous avions déjà chroniqué FORBIDDEN ZONE au travers de l'édition américaine éditée par Fantoma, Le Chat qui fume met enfin à la portée du spectateur français le métrage culte d'Elfman. Outre la perspicacité du choix éditorial, l'initiative mérite d'être saluée au regard d'un DVD pourvu de qualités techniques irréprochables. En 16/9ème et format 1.77, l'image bénéficie d'un encodage valorisant les magnifiques contrastes du noir et blanc. L'état de la copie demeure bluffant si l'on reconsidère la relative vieillesse d'une oeuvre presque trentenaire.

Primordial quand il s'agit d'un film musical, le son impressionnera les plus exigeants. Hébergeant de nouveaux mixages, les pistes multicanales rendent justice à la superbe bande originale. Très pêchus, les DTS et Dolby digital 5.1 ne saturent pas comme on pouvait le craindre, d'où une écoute fort agréable. Néanmoins, l'impétueuse dynamique du premier rend le deuxième quasi anecdotique. En outre, les deux pistes présentent une tessiture, certes différente, mais pareillement intéressante. Le DTS comporte des médiums légèrement mis en avant et des basses inversement en retrait comparé au Dolby Digital dont le niveau sonore parait pourtant plus bas. Entre une précision époustouflante (DTS) et une “chaleur” appréciable (Dolby Digital), l'acheteur devra choisir sans oublier l'alternative du mono original. Correct, ce dernier porte davantage sur les aigus afin de nous plonger dans l'atmosphère de jadis. Avis aux puristes! Par ailleurs, le mixage d'époque offre un traitement autre des vocalises (par exemple, échos très “pop” sur la voix de Danny Elfman dans “Minnie the Moocher”). Bizarrement encodée MPEG-2 Audio, la piste musicale isolée admet une stéréo honorable. Petit point notable, l'éditeur offre des sous-titrages, spécifiquement pour les morceaux musicaux, proposant une traduction française ou une transcription anglaise.

En proposant FORBIDDEN ZONE, Le Chat qui fume comble d'abord les amateurs d'un cinéma dit “décalé”, ceux-là naturellement enclins à se pourvoir de tout ce que notre septième art recèle en matière de curiosités. Néanmoins, la rareté et le prestige rétrospectif (première bande originale d'un des plus grands compositeurs contemporains) ne constituent pas nécessairement des gages de qualité. Restreindre notre lecture de l'oeuvre à son statut de mythe s'avérerait une grossière erreur que l'éditeur souhaite éviter en reprenant, pour l'essentiel, l'interactivité conséquente de son équivalent américain. Un commentaire audio effectué par le cinéaste et Matthew Bright permet de replacer le film dans un contexte précis, celui d'une première et en cela fort balbutiante prise de contact avec la pellicule. Chaotique et éreintant, le tournage profita pourtant d'une bonne humeur générale, à l'origine d'anecdotes parfois très croustillantes. Non dénués d'humour noir, les amis prennent plaisir à se plonger dans leurs souvenirs sans oublier de renseigner l'auditeur quant aux multiples références musicales, picturales ou cinématographiques. Drôle et instructive, cette heure passée en compagnie des deux artistes convaincra les plus sceptiques. Le documentaire intitulé “Voyage dans la Zone Interdite” s'attarde précisément sur maints aspects du métrage via les interventions de Matthew Bright, Danny et Marie-Pascale Elfman ou John Muto . Chapitrée et menée par le réalisateur, l'analyse s'intéresse aux scénario, genèse, mise en scène, décor, casting, animation et bande originale du film. Indispensable, la chose se trouve agrémentée d'une courte et inédite interview de Marie-Pascale Elfman laquelle, en roue libre et consécutivement évasive, se laisse aller à évoquer sa rencontre avec Richard, sa participation aux prestations des Mystic Knights et son installation à Venice. Après ces trois bonus, l'esprit critique de l'acheteur sera mis à contribution afin de décrypter diverses scènes coupées. La liberté de ton revendiquée par les auteurs, distributeurs et éditeurs paraît toute relative si l'on constate le potentiel subversif des séquences éradiquées. Manger le doigt d'un évêque, dire (trop?) de grossièretés, inscrire en parallèle un crucifié et une sadique tortionnaire ; l'impertinence possède des limites... Surestimant peut-être notre sérieux ou notre culture, Le Chat qui fume nous livre ensuite des extraits d'“Hercules Family” en omettant de préciser de quoi il en ressort (première mouture du film en 16mm). Les paresseux qui n'auront pas pris la peine d'écouter le commentaire audio ou de visionner le précédent documentaire s'interrogeront très certainement. De même, dénuées d'introduction, deux parodies (“Johnny, wenn Du Geburtstag hast” interprété par Marlène Dietrich et une “non identifiée” ici) pourraient frustrer. En revanche, le clip “Private Life” d'Oingo Boingo parle de lui seul, à coup de fumigènes, lumières rouges et même incrustations ; reflets d'un kitsch non dépourvu de charme. Une bande-annonce qui enchantera les fans de LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE et une galerie photo dont les ultimes sont “de plateau” concluent une ballade au demeurant fort agréable dans les coulisses de la Sixième Dimension.

Rédacteur : Cécile Migeon
46 ans
33 critiques Film & Vidéo
1 critiques Livres
On aime
Un film déjanté
Danny Elfman en Diable inoubliable
Les menus du DVD
Des qualités techniques irréprochables
On n'aime pas
Un film pas assez chapitré
Des bonus mal introduits
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Autres critiques
L'édition vidéo
FORBIDDEN ZONE DVD Zone 2 (France)
Editeur
Chat Qui Fume
Support
DVD (Double couche)
Origine
France (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
1h10
Image
1.78 (16/9)
Audio
English DTS 5.1
English Dolby Digital 5.1
English Dolby Digital Mono
Sous-titrage
  • Français
  • Supplements
    • Commentaire audio de Richard Elfman et Matthew Bright
    • Piste musicale isolée
    • “Voyage dans la Zone Interdite” (35mn44)
    • Interview de Marie-Pascale Elfman (9mn35)
    • Scènes inédites (15mn08)
    • Extraits du film “Hercules Family” (5mn35)
    • Vidéo clip “Private Life” d’Oingo Boingo (3mn40)
    • Bande-annonce
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