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Critique du film et du DVD Zone 2
CALVAIRE 2004

 

En route vers sa prochaine prestation scénique, le chanteur de variété Marc Stevens tombe en panne dans une forêt. Un homme va lui indiquer une auberge, se situant un peu plus loin, où Marc se rend. L'aubergiste, Paul Bartel, voit en lui l'ombre de son ex femme et va séquestrer le chanteur, son obsession les conduisant vers une inévitable folie à deux.

CALVAIRE est le premier long métrage de son réalisateur, Fabrice Du Welz, dont le curiculum vitae se résume à un film d'animation (en 1997) et un court métrage présent sur le DVD français. Le film a nécessité trois ans de préparation pour seulement 35 jours de tournage. Le résultat est un impressionnant mélange de survival et d'horreur psychologique dans l'esprit de MASSACRE A LA TRONCONNEUSE ou des CHIENS DE PAILLE. Suite à un passage à Cannes très remarqué en 2004, il obtint en 2005 le Prix du Jury à Gérardmer, le "Prix très spécial" puis, toujours en 2005, ce fut le Grand Prix au Fantastic Film Festival à Amsterdam. Couronné de toutes ces bonnes choses, le film débarqua sur les écrans français en mars 2005. Cependant, sa très faible distribution (moins de 10 salles sur tout le territoire) ne lui assura pas un énorme succès. Espérons que la sortie DVD réparera cette injustice.

Dès les premières images, le ton glauque et éprouvant du film est donné. Marc Stevens chante dans un hospice où tous les fantasmes convergent sur lui, de l'infirmière aux femmes âgées. De la scène, il plonge son regard dans le leur, donnant l'impression de n'exister que pour elles. Leur tristesse et solitude fond comme glace au soleil à la simple vue de cet homme pourtant si effacé. Il fait à merveille ce qu'on attend de lui. C'est un être passif qui le restera jusqu'au bout malgré ses quelques actes de rébellion irréfléchis et surtout vains. A son départ, l'infirmière s'accroche à lui comme une adolescente. En suivant son véhicule des yeux, on a l'impression qu'elle restera postée au même endroit jusqu'à son retour l'année suivante.

Lorsque Marc se perd sur la petite route de forêt, le brouillard tombe avec la nuit. Le silence feutré donne une impression d'ambiance fantastique jusque dans les «frayeurs classiques» comme l'ombre qui passe à toute vitesse devant la camionnette, ou l'homme qui apparaît soudain de nulle part. Celui-ci se présente : Boris, à la recherche de Bella, sa chienne. Il conduira Stevens à travers bois jusqu'à l'auberge Bartel où le chanteur fait connaissance avec le propriétaire des lieux.

Paul Bartel est un homme bourru et réservé au premier abord. Mais lorsqu'il découvre que Stevens est chanteur, il deviendra sympathique et avenant, heureux de partager un peu de temps avec un autre artiste. C'est Jackie Berroyer qui donne vie à ce personnage perdu depuis le départ de son ex femme, Gloria, chanteuse elle aussi. Berroyer explore de façon impeccable une gamme d'émotions allant de l'euphorie à la violence sadique, en passant par la tristesse et l'humour. Bartel ne semble pas conscient de son état dépressif, il réagit seulement avec des émotions qui lui semblent appropriées pour l'occasion. De ses explications, on devine une ancienne relation bancale et à sens unique. On ne verra jamais Gloria, même pas en photo, mais il est évident que son passage dans cette auberge a chamboulé l'existence de toute une communauté, à commencer par le fait qu'elle en était la seule femme aux alentours.

Stevens ne remarque pas tout de suite à quel point Bartel le confond avec Gloria. Sa première impression déroutante des lieux survient lors d'une promenade où il assiste par mégarde à une scène de zoophilie avec un veau. Du Welz ne nous montre pas de détails mais il n'en a pas besoin. Les regards émoustillés des observateurs et le gémissement d'un homme agenouillé devant l'animal nous racontent tout ce que l'on a besoin de savoir. Les cris stridents d'un cochon achèvent de rendre l'ambiance putride au possible et Marc fait comme n'importe qui : Il s'enfuit en courant. Pourtant, lorsque Bartel lui pose la question, il répond juste que c'est une bien belle région, occultant de son esprit tout ce qui pourrait le déstabiliser.

L'histoire va ensuite basculer dans le surréalisme pour finir dans l'horreur absolue. Bartel brûle la camionnette de Stevens et l'assomme pour s'assurer qu'il n'ira nulle part. Il va ensuite avertir les villageois de «laisser sa femme tranquille». Cette confrontation se déroule dans un bar poisseux et va donner lieu à l'une des scènes les plus incroyables du film. Après le départ de Bartel, les convives vont s'adonner à une danse ressemblant plus à un étrange rituel. Comme des pingouins, ils se dandinent d'un pied à l'autre, les bras le long du corps, accompagnés d'une cacophonie invraisemblable au piano. Dans le Making Of, Du Welz avoue avoir directement emprunté cette scène incroyable du film UN SOIR, UN TRAIN d'André Delvaux, à qui il porte une grande admiration.

Ce métrage de 1968 n'est pas la seule influence de CALVAIRE. Ayant grandi avec les films d'horreur des années 1960-70, il était inévitable que Du Welz y puise son inspiration. Ainsi nous retrouvons une scène de repas au début, filmée comme la rencontre entre Norman Bates et Marion Crane dans PSYCHOSE. Cela reste surtout technique et le réalisateur en parle plus longuement dans les suppléments. Pour le côté plus visuel, nous retrouvons une deuxième scène de repas quasiment identique à celle de MASSACRE A LA TRONCONNEUSE, à la différence près qu'ici, la caméra fait un mouvement circulaire sur la table alors que dans le film de Tobe Hooper, elle restait stable. Du Welz assume complètement les hommages qu'il fait à d'autres métrages. Les similitudes auraient pu être gênantes s'il n'existait rien de personnel autour. Heureusement, c'est le cas avec CALVAIRE, un film qui traite ses aînés avec le plus grand respect.

Impossible également de passer à côté des connotations christiques. D'un point de vue étymologique, le mot calvaire dérive du latin, «Calvaria», lui-même la traduction du grec, «Golgotha», le nom de la colline où Jésus fut crucifié. Mis à part le titre évocateur, deux parallèles sont faits dans le film : Bartel crucifie Marc dans la grange après qu'il ait essayé de s'évader, et vers la fin, Stevens croise une statue du Christ perdue au milieu de la forêt. Sa démarche recourbée et traînante nous font imaginer le poids immense d'une croix invisible sur son dos et son pardon ultime renvoie à celui de Jésus envers ses tortionnaires (bien que cela ne changera pas pour autant le dénouement). Fait curieux : Du Welz n'en fait pas mention dans son commentaire audio.

La force du métrage réside dans le passage constant de la réalité à l'irréel. Le film a été tourné en hiver comme l'indique la présence d'un manteau neigeux au sol. Cependant, elle n'est pas toujours présente de la même façon à l'intérieur d'une même scène. C'est un problème de continuité causé par la nature, mais cela contribue à l'effet surréaliste que dégage CALVAIRE. Un autre exemple, visuellement plus étonnant, est la présence d'une bande d'enfants jouant au ballon dans la forêt. Ils portent tous un anorak rouge (renvoyant immédiatement à la créature évasive de NE VOUS RETOURNEZ PAS) et ne servent à priori qu'à un seul but, celui de dérouter le spectateur.

Malgré quelques passages franchement bruts, le moment le plus impressionnant reste l'attaque sur l'auberge par les villageois. Nous sommes cette fois plongés dans une ambiance de danger à la CHIENS DE PAILLE. Et bien qu'ici, la scène n'ait pas d'introduction similaire, on devine aisément les villageois complices d'une horreur parfaitement consciente. Ils avancent en silhouettes sur un fond fortement éclairé, la menace de l'ennemi renforcée par le fait qu'il n'est pas visible en personne. Les fenêtres volent en éclats, les agresseurs investissent les lieux. Nous passons d'une vue objective à subjective (celle de Marc Stevens), le bruit devient sourd et la focalisation floue, résultat de la violence qu'il vient de subir aux mains de Bartel. La caméra bouge dans tous les sens parmi des mouvements confus, puis elle se stabilise et monte enfin au plafond. Nous surplombons l'action comme pour prendre un peu de distance avec l'horreur mais en même temps, on a l'impression que l'on pourrait s'écraser dedans à tout moment. La bande sonore se compose de cris, d'insultes, de coups de feu et de hurlements de cochon insoutenables. En comparaison avec les nombreux silences qui précèdent, on se dit que l'enfer sur terre doit bien ressembler à cela.

Les acteurs s'en sortent tous avec bravoure, Laurent Lucas en premier. Son physique mystérieux et ses manières empreintes de douceur en font quasiment une victime parfaite, rôle qu'il remplit jusqu'au bout. Le doute subsiste pourtant : Se fond-il dans le personnage de Gloria jusqu'à s'oublier, ou est-ce qu'il ne fait que se protéger ?
Philippe Nahon (SEUL CONTRE TOUS) et Jo Prestia (IRREVERSIBLE) campent tous deux des paysans bruts de décoffrage. Prestia ne se déplace jamais sans son horrible cochon tandis que Nahon révèle une facette plus troublante de ses relations avec Gloria et Bartel.
Brigitte Lahaie fait une brève apparition en tant que l'infirmière de l'hospice. Elle a subrepticement glissé des polaroïds d'elle dans l'enveloppe contenant la rémunération de Marc, un geste qui résume à lui seul tout le désespoir de son personnage. Ces photos dénudées sont un clin d'oeil rigolo à son passé d'actrice X.

En guise de suppléments, le DVD propose d'abord un Making Of de 27 minutes. Du Welz revient sur la genèse du film et ses propres influences. Il est toujours intéressant d'écouter un créateur parler de son oeuvre et ici, nous avons affaire à un vrai passionné. Son enthousiasme transparaît partout, au niveau technique comme humain lorsqu'il évoque ses acteurs. Mais ce Making Of ne couvre pas le métrage en entier et on se demande un peu où est passé le reste…

Ensuite, nous trouvons la bande annonce du film ainsi qu'un bonus pas très caché concernant Brigitte Lahaie. Vous le trouverez sous l'intitulé Court métrage et il propose un défilé automatique des polaroïds dénudés, sur fond musical d'une chanson de Marc Aryan, chantée par Stevens. Aryan était un chanteur de variété belge au même titre que notre Claude François national. Du Welz lui a rendu un certain hommage à travers son film en reprenant ses chansons telles quelles et en faisant partager son prénom avec celui de son personnage principal. Au même titre, Paul Bartel est un réalisateur "culte" (LA COURSE A LA MORT EN L'AN 2000 ou EATING RAOUL).

Le court métrage s'intitule QUAND ON EST AMOUREUX C'EST MERVEILLEUX, d'une durée de 23 minutes. Il reçut le Grand Prix à Gérardmer en 1999 et il n'est pas difficile de comprendre pourquoi. On y retrouve l'essentiel du style de Du Welz : une ambiance sordide, une réalisation sans failles, l'exploration d'une humanité déviante et un travail minutieux au niveau du son et de l'éclairage.
L'histoire est celle de Lara, une femme très seule, qui prépare son appartement pour fêter son anniversaire. Une seule personne arrive, un strip-teaseur qui lui fait un numéro d'enfer ! Lorsqu'il veut partir, elle tente de le retenir et finit par lui planter un couteau dans la gorge. Elle va garder le cadavre chez elle et même inviter un couple d'échangistes dont la femme n'est autre que Laure Sinclair, une autre actrice X bien connue des amateurs à l'instar de Brigitte Lahaie.
On ne vous dévoilera pas la totalité car ce court est vraiment à découvrir. Pami les autres acteurs, on trouve déjà Jackie Berroyer en boucher et Jean-Luc Couchard dans le rôle de son employé fou amoureux de Lara (et qui incarnera Boris dans CALVAIRE).

Nous trouvons également un commentaire audio du réalisateur qui parle d'une voix calme et posée, à l'opposé de son enthousiasme contagieux perçu dans le Making Of. Il commente les scènes, accompagne Marc Stevens au chant (…) et parle de son travail tout en livrant quelques anecdotes. Quelques silences ponctuent son monologue qu'il rallonge cependant jusqu'à la toute fin du générique.

Au niveau de la réalisation, Du Welz est beaucoup aidé par son chef opérateur Benoït Debie (le court de Fabrice Du Welz puis IRREVERSIBLE) qui a accompli un travail de première facture. L'image est granuleuse à l'instar de nombreux vieux films d'horreur, renforçant l'ambiance authentique et malsaine du métrage. Les éclairages ont été gardés à un strict minimum, ce qui donne lieu à des images très sombres ou au contraire, à des éblouissements crus comme provenant d'un néon. Les décors de l'auberge ont été épurés au possible, donnant l'impression que la laideur des personnages a fini par investir les lieux. C'est lugubre avec ces tapisseries sombres et les portraits étranges qui décorent les murs. La tristesse transparaît à chaque petit bruit : Le grincement des escaliers, un fil électrique qui tape contre une fenêtre, le vent qui s'engouffre de partout…

Le disque propose trois pistes audio : stéréo, Dolby Digital 5.1 et DTS accompagné d'un sous-titrage anglais amovible. Les pistes audio rendent entièrement justice à une bande son dépouillée de musique d'ambiance, un choix volontaire du réalisateur. Les silences s'imposent comme des appréhensions de l'horreur à venir, et attire l'attention du spectateur sur chaque détail visuel dans un format cinéma 16/9 respecté. La seule erreur technique apparaît à 58mn21 où l'image se bloque pendant une demi seconde, problème récurrent sur les DVDs double couche. Pour en revenir sur le sous-titrage, on louera Studio Canal de donner la possibilité à ce DVD d'aller s'exporter vers l'étranger ce qui permettra une découverte du film passé les frontières de la francophonie. Par contre, on se demande pourquoi ne pas placer aussi un sous-titrage français pour cette fois s'ouvrir vers le public malentendant.

Pour un premier métrage, CALVAIRE est un petit chef d'oeuvre à l'ambiance glauque et déprimante, truffée de références sympathiques. Et lorsque résonnera le cri qui clôt un générique de fin où seul souffle un vent d'hiver mélancolique, la main qui serre vos tripes se referme brusquement comme un étau. Un film sans issue de secours.

Rédacteur : Marija Nielsen
54 ans
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L’ambiance inquiétante du film
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L'édition vidéo
CALVAIRE DVD Zone 2 (France)
Editeur
Support
DVD (Double couche)
Origine
France (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
1h30
Image
2.35 (16/9)
Audio
Francais DTS 5.1
Francais Dolby Digital 5.1
Francais Dolby Digital Stéréo Surround
Sous-titrage
  • Anglais
  • Supplements
    • Commentaire audio de Fabrice Du Welz
    • Making Of (27mn)
    • Bande-annonce
    • Quand on est amoureux, c'est merveilleux (Court-métrage - 23mn)
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