Header Critique : TESTAMENT DU DOCTEUR MABUSE, LE (DAS TESTAMENT DES DR. MABUSE)

Critique du film
LE TESTAMENT DU DOCTEUR MABUSE 1932

DAS TESTAMENT DES DR. MABUSE 

Lorsqu'il commence à tourner LE TESTAMENT DU DOCTEUR MABUSE, Fritz Lang vient de connaître un énorme succès avec son premier film parlant : M LE MAUDIT de 1931. LE TESTAMENT DU DOCTEUR MABUSE lui permet de retrouver le personnage de Mabuse, super-criminel créé par l'écrivain populaire Norbert Jacques. Lang a déjà mis Mabuse en scène dans son chef-d'œuvre muet LE DOCTEUR MABUSE. C'est le même interprète, Rudolf Klein-Rogge, qui tient à nouveau le rôle de ce malfaiteur. Otto Wernicke reprend le personnage de l'inspecteur Lohmann qu'il incarne déjà dans M LE MAUDIT. Par conséquent LE TESTAMENT DU DOCTEUR MABUSE s'avère autant une suite de ce classique que de LE DOCTEUR MABUSE !

Lang bénéficie encore de l'aide d'un immense chef-opérateur, Fritz Arno Wagner, personnage clé du cinéma allemand de l'entre-deux-guerres, au palmarès impressionnant : LES TROIS LUMIERES de Fritz Lang, NOSFERATU LE VAMPIRE de Murnau, LE MONTREUR D'OMBRES de Robison, ainsi que LE JOURNAL D'UNE FILLE PERDUE avec Louise Brooks, le film de guerre QUATRE DE L'INFANTERIE et L'OPERA DE QUAT'SOUS, tous les trois de Pabst. Comme cela est parfois le cas au début du parlant, trois versions de LE TESTAMENT DU DOCTEUR MABUSE sont tournées simultanément : une en français, une en anglais et une en allemand, avec des castings en partie différents. La version en française a été supervisée par René Ty, le rôle du commissaire de police y étant tenu par Raymond Cordy. Notre texte a été rédigé après visionnage de la version allemande.

LA CARRIERE ALLEMANDE DE FRITZ LANG

Au vu de l'importance capitale de Fritz Lang dans l'histoire du cinéma fantastique, il nous paraît opportun d'évoquer ici la première partie de sa carrière, celle s'étant déroulée en Europe.

C'est au cours des premières années de sa carrière de réalisateur, qui se sont déroulées en Allemagne, que Fritz Lang donne au cinéma fantastique quelques uns de ses plus grands titres. Né à Vienne, il marche sur les traces de son père en étudiant l'architecture, puis se ravise et s'oriente vers les Beaux-Arts. Il voyage et se fixe à Paris en 1913 : cette ville est alors en pleine ébullition artistique, avec la découverte par le grand public des travaux sur le cubisme par Picasso et Braque et d'autres avant-gardes.

L'arrivée de la guerre force Lang à retourner en Autriche où il est recruté par l'armée. Blessé en 1917, il est envoyé dans une clinique. Il se met à rédiger des scénarios de cinéma pendant sa convalescence et ce travail est repéré par le producteur-réalisateur Joe May. Celui-ci met en scène deux de ces scénarios cette année-là. Puis Lang est aussi remarqué par le producteur Erich Pommer de la firme Decla, qui l'engage comme scénariste et réalisateur. Lang dirige donc son premier film avec LA RASTAQUOUERE, un mélo de 1919, suivi de deux autres drames la même année: LE MAITRE DE L'AMOUR et MADAME BUTTERFLY.

Enfin, toujours pour Decla, il tourne LES ARAIGNEES, un film d'aventures exotiques en deux parties, imprégné de l'influence de la littérature populaire d'alors, dont raffole Lang depuis son enfance. Ce tournage l'absorbe tant qu'il laisse passer un autre projet : LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI, scénario écrit par Hans Janowitz et Carl Mayer, qui se voit finalement mis en scène par Robert Wiene et devient un classique instantané en 1920, lançant durablement une grand vague de films fantastiques en Allemagne.

Lang aide aussi la romancière Thea Von Harbou à rédiger l'adaptation de son roman "Le tombeau hindou", finalement réalisé par Joe May sous forme d'un film en deux parties. Lang et Von Harbou se marient plus tard et ils collaborent sur tous les scénarios des films de Lang à partir de ce moment, jusqu'à ce qu'il quitte l'Allemagne.

Le prochain gros projet de Lang est LES TROIS LUMIERES de 1921, superbe conte fantastique narrant l'histoire d'une jeune femme tentant, à travers diverses aventures, de racheter à la Mort l'âme de son amant. Lang devient alors un réalisateur-vedette et passe au service de l'UFA. Il réalise pour eux LE DOCTEUR MABUSE en 1922, feuilleton policier en deux parties, interprété par Rudolf Klein-Rogge. Cette œuvre met en scène les méfaits d'un génie du mal tout en dressant le portrait d'une Allemagne d'après-guerre en pleine crise économique et morale.

Vient ensuite en 1924 LES NIEBELUNGEN, vaste fresque en deux parties, issue des légendes nordiques et germaniques relatant les aventures de Siegfried. Cette coûteuse super-production est un sommet de ce qu'on appellerait aujourd'hui l'"heroic fantasy", et il faut attendre la trilogie LE SEIGNEUR DES ANNEAUX de Peter Jackson à partir de 2001 pour voir à nouveau autant de moyens et d'ambitions mises au service de ce genre.

Après l'aventure exotique, le film policier et le médiéval-fantastique, Lang propose à nouveau un grand jalon du cinéma en s'attaquant à la science-fiction avec METROPOLIS de 1927, immense classique, si cher à tourner qu'il faillit ruiner l'UFA. Le réalisateur en eut l'idée après avoir découvert l'architecture des gratte-ciels de New York. METROPOLIS décrit la vision pessimiste d'une mégalopole du futur dans laquelle la société est divisée en deux parties : les maîtres, qui vivent oisifs dans la ville haute ; et les Ouvriers, qui travaillent comme des esclaves et habitent dans la sinistre ville basse.

Avec LES ESPIONS, Lang s'attaque au cinéma d'espionnage, sur une trame rappelant LE DOCTEUR MABUSE et partageant sa hantise des sociétés secrètes et des complots voués à détruire les bases des nations. Il revient à la science-fiction avec LA FEMME SUR LA LUNE de 1928, relatant une expédition en fusée sur ce satellite, le tout sous-tendu par une intrigue d'espionnage. C'est une grande réussite.

Lang prend son autonomie par rapport à l'UFA à l'occasion de son premier film parlant, M LE MAUDIT, en 1931, dont le scénario est en cours d'écriture alors que le tueur en série Kuerten, alias "le vampire de Düsseldorf" sème la terreur. Le film de Lang suit les méfaits d'un tueur d'enfants, incarné par un jeune acteur hongrois promis à un grand avenir, en particulier dans notre genre favori : Peter Lorre.

En 1932, Lang tourne donc LE TESTAMENT DU DOCTEUR MABUSE. Mais les Nazis y voient une critique de leur parti et le font interdire. Pourtant, Hitler et Goebbels admirent le réalisateur et lui proposent de travailler pour le Reich. Lang refuse et part en exil en France, où il réalise LILIOM, encore sur un sujet fantastique (un homme, tué alors qu'il commet un vol, revient sur Terre pour réparer ses fautes quinze ans après son décès).

Finalement, Lang fuit aux États Unis où il réalise d'abord FURIE en 1936, qui se révèle, comme M LE MAUDIT, un plaidoyer contre le lynchage et toute forme de justice expéditive. Lang ne retourne en Allemagne qu'en 1956 et tourne entre-temps de nombreux films à Hollywood, dans des genres variés : espionnage (LE MINISTERE DE LA PEUR...), western (L'ANGE DES MAUDITS...), aventures (LES CONTREBANDIERS DU MOONFLEET...), Films Noirs (REGLEMENT DE COMPTE...)... Dans cette partie de sa carrière, le fantastique n'a curieusement pas vraiment sa place, bien qu'on le devine dans certains Films Noirs laissant une place à l'onirisme et l'insolite comme LA FEMME AU PORTRAIT et LE SECRET DERRIERE LA PORTE – ce dernier ayant été une influence revendiquée par Dario Argento pour son SUSPIRIA dans lequel le réalisateur italien fait jouer Joan Bennett, vedette de cinq films de Fritz Lang dont celui-ci.

LE TESTAMENT DU DOCTEUR MABUSE

Un homme nommé Hofmeister découvre la cachette d'un gang de malfaiteurs. Il tente d'avertir la police, mais les gangsters l'en empêchent. Lorsque les forces de l'ordre arrivent chez Hofmeister, celui-ci est devenu fou ! Avant de perdre la raison,il a juste eu le temps de graver sur une vitre le nom "Mabuse". Le docteur Mabuse est ce criminel qui a sévi en Allemagne, juste après la Grande Guerre, semant le chaos dans le pays, notamment grâce à ses talents pour l'hypnotisme et la manipulation. Mais ce génie du mal est devenu fou au moment de sa capture et est interné dans la clinique du professeur Baum où il reste prostré à gribouiller des pages et des pages de papier depuis des années.

Pendant ce temps-là, des faits divers (cambriolages,sabotages...) s'enchaînent, rappelant les méthodes de Mabuse. Kent, membre du gang de malfaiteurs coupable, décide par amour pour la jeune Lily d'abandonner ces pratiques malhonnêtes. Le chef de la bande, un personnage mystérieux qu'on appelle le "Maître", ne l'entend pas de cette oreille...

LE TESTAMENT DU DOCTEUR MABUSE, comme LE DOCTEUR MABUSE, est avant tout un film policier relatant l'affrontement entre la police, incarnée par la force très tranquille du commissaire Lohmann, et les puissances du mal, c'est-à-dire le gang multipliant les activités illégales. On retrouve diverses péripéties typiques des feuilletons français de Louis Feuillade et des romans populaires. Chambre piégée, course-poursuite, génie du mal, indices énigmatiques à décrypter... sont au rendez-vous. Fritz Lang maîtrise parfaitement sa réalisation et ménage quelques tours de force, tels le siège du refuge des gangsters ou l'évasion d'une pièce inondée. L'emploi de la bande-son est déjà excellent, comme le prouve l'usage oppressant du vacarme d'une presse à faux-billets qui accompagne la progression du suspens. Citons encore l'emploi habile de l'assourdissant concert de klaxon lors du meurtre du docteur Kram dans des embouteillages.

Par certains éléments, LE TESTAMENT DU DOCTEUR MABUSE se distingue d'un simple serial policier et glisse vers un fantastique inquiétant. Cherchant à retranscrire l'angoisse de son époque, Lang intègre des idées en droite ligne du cinéma expressionniste allemand des années 1920. Des compositions d'ombres retranscrivent l'atmosphère menaçante des rues nocturne et des visions insolites sont réalisées à l'aide de trucages distordant la réalité. On pense beaucoup à LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI, notamment pour la présence de la hantise de la folie, le cadre de l'asile psychiatrique... Le dénouement du récit nous ramène aussi à ce classique de Robert Wiene.

Avec tout cela, Lang veut donner à nouveau un portrait d'une Allemagne en crise. LE DOCTEUR MABUSE présentait le pays de l'immédiat après-guerre, vaincu, ruiné et en plein désarroi morale. LE TESTAMENT DU DOCTEUR MABUSE, tout comme M LE MAUDIT, s'intéresse à l'Allemagne qui, après s'être redressée, sombre dans de nouveaux problèmes économiques suite au retrait des capitaux américains du pays, consécutifs au krach boursier de 1929. L'instabilité matérielle consécutive à la circulation internationale des flux financiers est donc déjà un thème de son temps, longtemps avant notre crise des subprimes !

Dès lors le parcours du jeune Kent est exemplaire. Réduit à la misère par le chômage, ce jeune ingénieur met son talent au service d'une bande de gangsters. Quand il fait preuve de scrupules, les malfrats tentent de l'éliminer.

Les plans du "Maître" sont révélateurs. Son objectif n'est certes pas le profit : sabotage, trafic de drogue et distribution de fausse-monnaie servent avant tout à saper les bases de la société allemande afin de l'affaiblir et de la mettre à la merci des forces du mal. Plus tard, Lang dira qu'il comptait ainsi dénoncer les méthodes des Nazis, alors en pleine ascension. Ceux-ci durent bien le comprendre puisqu'ils firent interdire la sortie de LE TESTAMENT DU DOCTEUR MABUSE.

Toutefois, LE TESTAMENT DU DOCTEUR MABUSE ne peut pas prétendre au même niveau d'excellence que LE DOCTEUR MABUSE. Il souffre de certaines chutes de rythme et d'un tempo parfois languissant, notamment au début du métrage.

LE TESTAMENT DU DOCTEUR MABUSE reste tout de même un bon film, bénéficiant d'une réalisation extrêmement maîtrisée. Lang retrouvera Mabuse pour son dernier film, LE DIABOLIQUE DOCTEUR MABUSE, tourné en Allemagne après son retour des USA, en 1960. Ce «reboot» relance durablement la série, avec ensuite LE RETOUR DU DOCTEUR MABUSE et L'INVISIBLE DOCTEUR MABUSE de Harald Reinl.

Ce dernier, important réalisateur du cinéma populaire allemand d'après-guerre, tourne aussi à la même époque certaines des fameuses adaptations germaniques des romans policiers d'Edgar Wallace (L'ARAIGNEE BLANCHE DEFIE SCOTLAND YARD par exemple...) dont les succès encouragent alors les producteurs italiens à mettre en chantier les premiers "Giallos" (comme SIX FEMMES POUR L'ASSASSIN en 1964 de Mario Bava). Reinl tourne aussi ces années-là en Yougoslavie des westerns européens avec financement allemand, notamment LE TRESOR DU LAC D'ARGENT, une aventure du peau-rouge Winnetou dont le succès est tel qu'il provoque la réalisation des premiers westerns-spaghettis (tournés en Espagne par des équipes italiennes), parmi lesquels POUR UNE POIGNEE DE DOLLARS.

Mabuse continue ses aventures avec LE TESTAMENT DU DOCTEUR MABUSE de Werner Klingler, remake du film de Lang de 1933, puis vient MABUSE ATTAQUE SCOTLAND YARD et MISSION SPECIALE AU DEUXIEME BUREAU de Hugo Fregonese. Dans ces films des années 1960, le rôle de Mabuse est tenu par Wolfgang Preiss, vedette du cinéma allemand d'alors, tandis que le commissaire Lohmann a les traits de Gert Fröbe, c'est à dire ceux d'Auric GOLDFINGER, le fameux adversaire de James Bond !

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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