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Critique du film
LO CHIAMAVANO JEEG ROBOT 2016

 

Enzo (Claudio Santamaria) est une petite frappe misanthrope et introvertie vivant dans la périphérie de Rome. A la suite d'une poursuite avec la Police, il tombe dans le Tibre, heurte un baril enfoui… et gagne bizarrement des pouvoirs insoupçonnés. Il participe à un deal qui voit la mort de son comparse. Après avoir chuté de 9 étages, il rentre chez lui pour tomber sur la fille de son pote, Alessia (Ilenia Pastorelli). Elle ne vit que pour et à travers le dessin animé JEEG ROBOT. Témoin des pouvoirs d'Enzo, elle est persuadée qu'il est l'incarnation de Jeeg, présent sur Terre pour sauver le monde. Et retrouver son père. Mais il va devoir compter sur Lo Zingaro (Gianluca Marinelli), un mafieux ultra-violent, qui veut savoir d'où vient cette force surhumaine.

Un bel ofni que ce LO CHIAMAVANO JEEG ROBOT, un semi clin d'oeil aux titres italiens de westerns comme LO CHIAMAVANO KING, LO CHIAMAVANO TRINITA ou encore du LO CHIAMAVANO BULLDOZER avec Bud Spencer... (en traduction littérale : ON L'APPELLE JEEG ROBOT). Enorme succès surprise au Box Office italien, ce super-héros transalpin a déjoué tous les pronostics et s'est même permis de rafler pas moins de 7 David de Donatello (l'équivalent de nos César) cette année. Pour donner une idée du contenu peu orthodoxe du film, on dira qu'il s'agit d'un mélange savamment orchestré d'AFFREUX SALES ET MECHANTS, JEEG ROBOT, INCASSABLE, une palanquée de polizieschi des 70's, DANGER DIABOLIK et une démarche à la «Fuck You DC Comics et autres Marvel». Donc qui attire invariablement notre sympathie!

L'Italie n'en est cependant pas à son coup d'essai pour s'approprier le monde des super-héros. LA KRYPTONITE NELLA BORSA, excellente comédie fantastique avec Valeria Golino située dans les années 70, en faisait déjà mention. Tout comme LE GARCON INVISIBLE de Gabriele Salvatores, passé totalement inaperçu en France. Ici, un nouveau super-héros mais qui va prendre à contrepied tout ce qui se fait actuellement. Pas de parodie ni de copie d'exemples existants. Un scénario diablement intelligent, qui prend à profit la mythologie connue du super-héros : sa naissance, la prise de conscience du pouvoir, son utilisation et sa Nemesis. Une relecture emprunte de réalisme social, gentiment déconnecté du monde ripoliné, calibré de Marvel. Et éloigné des tentatives de déconstruction genre DEFENDOR de Peter Stebbongs ou des élucubrations de James Gunn pour SUPER, ou de entre autres exemples. LO CHIAMAVANO JEEG ROBOT navigue dans les eaux d'une comédie noire, de science-fiction, de thriller et emprunte des mondes mafieux durs entrevus dans les GOMORRA, SUBURRA et autres ROMANZO CRIMINALE (la série), ces deux derniers étant des oeuvres du très doué Stefano Sollima. Aucun hasard de voir ainsi le film se passer à Tor Bel Monaca, lieu d'une toxicité criminelle trop connue en Italie.

Enzo trouve ses racines dans la Malavita. Un escroc à la petite semaine, qui passe son temps à regarder du porno et manger des crèmes dessert. Il le répète à longueur de film : il n'est l'ami de personne. Il vit dans un taudis coincé dans une banlieue grisâtre. Rien de glamour, mais un anti-héros qui ne veut sauver personne. Sauf appliquer sa force surhumaine à son horizon. la première chose qui lui traverse l'esprit reste d'arracher à main nue un distributeur de billets de banque ou attaquer un fourgon… pour s'acheter des piles de films porno et des paquets entiers de crème dessert. L'hubris d'Enzo précipite ainsi son hamartia, dans la droite lignée de la tragédie grecque qui révèle ainsi sa Némésis. Claudio Santamaria, positivement extraordinaire ici, livre une interprétation brute, emplie de candeur, de dureté et d'éveil à (et de refus de) la conscience sociale. Entrevus par son statut grandissant d'icône populaire, dont la silhouette est reproduite par des graffitis sur les murs, ses images filmées et mises sur Youtube, glorifiées par le tout-venant. Passant directement dans l'inconscient collectif. Un joli paradoxe, surtout quand on sait que le Tibre reste probablement l'une des rivières les plus polluées au monde. De la fange et l'ordure nait l'espoir?

Sa Nemesis ne se situe pas en reste, avec le jeu survolté et dérangé de Gianluca (Luca) Marinelli. Son Zingaro apparait singulièrement timbré, ultra-violent (avec une défonçage de crâne à grands coups d'IPhone!) jusqu'au-boutiste, maniaque obsessionnel et obsédé de la reconnaissance sociale. Car il veut de la lumière sur lui, obsédé par les medias sociaux et la starification instantanée du XXIe siècle. Jalousie maladive de ce quidam-héros de la populace qui lui dame le pion sur toute la ligne. L'intelligence est d'avoir joué sur les tableaux de la cruauté et de la fragilité à chaque extrémité du spectre des deux personnages principaux, culminant dans un climax qui sent le déjà-vu, mais parfaitement adapté dans la logique narrative imprimée dès le début du film.

Un super-héros ne serait-il rien sans son intérêt amoureux? Alessia prouve son statut autre même avec une obsession dérisoire, image de sa vie dérivée. Exit les Kirsten Dunst proprettes. Enter une Alessia aux rêves de gamines, à la robe relevée et se faisant culbuter dans une cabine d'essayage de centre commercial. Son envie de princesse, ses yeux perdus, sa naïveté désarmante, son incarnation de l'innocence pervertie. Et sa connaissance de Jeeg sur le bout des doigts, et dont le fil narratif va rejoindre la destinée d'Enzo, de son père. Une fraiche beauté émergeant de la boue mafieuse. Un couple Enzo/Alessia qui fait bizarrement écho à celui de Diabolik/Eva Kant, mais totalement désarticulé.

LO CHIAMAVANO JEEG ROBOT redistribue les règles du film de super-héros. Il brouille les cartes, apporte un sang neuf, injecte une réalité sociale oubliée, distille une ambiance inédite. Et maintient un humour noir sans jouer sur la pathos ou la misère. Bref, un film essentiel, ne ressemblant au final pas vraiment à d'autres sur le marché. Et un superbe final, parfaite d'image de digestion d'oeuvres populaires, redistribuant, digérant ses influences pour apporter au spectateur une vision inédite. Où le constat montre que le budget n'est pas un obstacle (il est ici assez bas), mais que seuls les idées, l'écriture,le talent créent les opportunités et livrent la perle que personne n'attendait. Gabriele Mainetti a apporté à ce projet toute la folie, la violence et la passion nécessaires pour lui donner une ampleur inédite. Cru, charnel, brutal, poétique, déviant, LO CHIAMAVANO JEEG ROBOT appelle l'exaltation de la nouveauté, comme son final du haut du Colisée, archétype de l'ancien temps - que surplombe l'avenir. Le cinéma italien vient de prendre un sacré coup de neuf.

Rédacteur : Francis Barbier
Photo Francis Barbier
Dévoreur de scènes scandinaves et nordiques - sanguinolentes ou pas -, dégustateur de bisseries italiennes finement ciselées ou grossièrement lâchées sur pellicule, amateur de films en formats larges et 70mm en tous genres, avec une louche d'horreur sociale britannique, une lampée d'Albert Pyun (avant 2000), une fourchettée de Lamberto Bava (forever) et un soupçon de David DeCoteau (quand il se bouge). Sans reprendre des plats concoctés par William Friedkin pour ne pas risquer l'indigestion.
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