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Critique du film
TIME LAPSE 2014

 

Finn (Matt O'Leary) est un peintre raté et gardien de complexe d'appartements. En compagnie de sa petite amie Callie (Danielle Panabaker) et Jasper (George Finn), leur pote magouilleur et amateur de paris, il découvre une mystérieuse machine dans l'appartement juste en face du sien. Cette machine prend des photographies Polaroid de leur baie vitrée toutes les 24 heures... mais dans le futur. Découvrant le cadavre de l'inventeur et ses notes, ils décident de garder le secret pour eux. Ils s'amusent d'abord avec la machine mais les événements dérapent rapidement.

Une des vraies bonnes surprises du Marché du Film de Cannes 2014. Un peu le film que personne n'attend vraiment mais qui réussit à s'imposer à force d'idées. Les films sur les paradoxes temporels ne manquent pas, généralement à grands renforts d'effets spéciaux et/ou d'effets trouilles à la manière de LA CASA DEL FIN DE LOS TIEMPOS, opus vénézuélien aussi présent au marché du film cette année. Point de tout cela ici puisque le réalisateur/scénariste tisse son scénario à base d'idées qu'il enchevêtre/développe à l'infini.

Après 4 courts-métrages, Bradley King emballe son premier long avec TIME LAPSE, qu'il co-écrit avec le producteur B.P. Cooper. S'entourant de jeunes talents reconnus comme Danielle Panabaker, connue des amateurs que nous sommes via ses interprétations dans VENDREDI 13, THE WARD, PIRANHA 3DD ou THE CRAZIES. Ou encore Matt O'Leary, écumant les seconds rôles depuis SPY KIDS 2 et SPY KIDS 3, EMPRISE ou encore le sauvage MOTHER'S DAY de Darren Lynn Bousman. Excellent choix de confier le rôle inquiétant du bookmaker de Jasper à Jason Spisak, qui s'avère efficace pour provoquer de jolies sueurs froides.

L'ingénieux canevas de base rappelle furieusement un épisode de LA QUATRIEME DIMENSION qui partait d'un principe similaire. Voire encore la structure du thriller espagnol TIMECRIMES de Nacho Vigalondo. En fait les multiples influences pourraient presque handicaper le film, outrageusement hitchcockien dans son essence avec son point de départ à la croisée de FENETRE SUR COUR et de (surprise) BODY DOUBLE - entre voyeurisme et manipulation du réel. L'oeil, ce séduisant étranger qui ne fait que mentir. Plus que le fait de découvrir ce que le futur réserve, la nature parfois dérangeante des images interpelle sur la prédestination (ou pas) de l'individu. Le caractère addictif de la découverte de morceaux de futur plonge les protagonistes dans les affres d'une drogue insidieuse. Avec des dommages collatéraux inattendus et des boucles temporelles insoupçonnées.

Elaborer un long métrage avec un concept de SF mais sans effets relève d'un défi peu commun. Un peu ce que Brad Anderson conçut avec son sympathique HAPPY ACCIDENTS. Le réel perturbé par un événement anodin. Seule la machine qui relève d'une éventuelle présence "autre" - et encore, semblant plus bricolée à la hussarde. Ca n'intéresse clairement pas l'auteur ni ne relève d'un quelconque besoin de la narration. L'ensemble ne requiert d'ailleurs rien de tel, se focalisant sur les interactions provoquées par la machine. Et aux impacts de la théorie énoncée par le professeur : "Don't fuck with Time" (en gros, "Ne déconnez pas avec le Temps").

Les 3 personnages principaux aux forts tempéraments se révèlent graduellement au spectateur - et l'un à l'autre au gré des photographies qui émergent. Leurs sentiments glissent comme des plaques tectoniques, allant jusqu'à provoquer de sérieuses secousses sismiques dans leur triangle relationnel. Ceci à la fois l'un par rapport à l'autre - mais aussi vis-à-vis des tierces personnages qui s'immiscent dans le récit. Comme une sensation d'étouffement dès que chacun s'enferme dans ses convictions et ses à-priori. King établit méticuleusement les indices menant au doute, y va par petites touches à priori sans importance pour jeter les fondations d'un conflit larvé. Un rythme qui prend délibérément son temps - un bonheur en ces temps de thrillers épileptiques. On contestera malgré tout la pertinence des auteurs de toujours verser dans la description de personnages effectuant des choix en dépit du bon sens. C'est assez agaçant, même si l'on a conscience que le film n'existerait pas de cette manière sans ces décisions d'une ânerie parfois confondante.

L'enjeu principal demeurant de faire avancer le récit articulé autour des trois protagonistes, qui (bien sûr) s'avèrent autres que montrés initialement. La duplicité, les faux-semblants deviennent un moteur de la narration. De caractères apparemment figés (le peintre frustré, l'amoureuse rêveuse et le petit branleur), sortira une lente mutation psychologique - et apporte son lot de surprises jusqu'à un final particulièrement ironique mais bien moral, au fond. Greffant presque naturellement - et logiquement - de nouveaux individus au récit. Sans pour autant gonfler de manière artificielle la narration. Le scénario parfois confus reste néanmoins très habile dans sa mécanique de suspens - aussi dû à une direction d'acteurs très sûre. Le voyage auquel convie Bradley King ne transporte pas dans le temps mais dans une variation d'extrêmes, allant du désespoir au caractère vicié des rapports humains en passant par une certaine hostilité environnementale. Le tout géré par un sens aigu de l'espace clos, comme prisonnier du temps.

La mise en scène quelque peu figée au début se transforme via un attachement aux détails qui frise l'horlogerie suisse. Au fur et à mesure de l'avancée de TIME LAPSE, il s'agit d'un pré-requis de base quand au coeur du sujet! La moindre couleur, taille d'objet, place d'un tableau revêt une importance capitale pour la suite des événements. Cet attachement à la moindre particularité s'applique notamment aux rebondissements subis. La machine infernale obligeant en effet à ce que les témoins du futur respectent scrupuleusement ce qu'il y a de photographié. L'influence du futur dans le présent et la bascule vers la folie et la violence vont de pair. Il y a bien un relâchement au beau milieu du film malgré l'apport d'éléments tiers. Mais l'habileté de la construction du suspens pointe vers quelques crescendos de violence éruptive du meilleur effet. Et de ce fait mieux tirer parti des retournements de situation se télescopant dans le dernier quart.

Clairement, TIME LAPSE s'adresse à l'intellect. Si l'on passe une mise en place des éléments quelque peu laborieuse. Un puzzle mental et psychologique qui fera gratter le cerveau de plus d'un. Et qui possède l'avantage d'être intelligent jusqu'à la dernière image - ceci sans oublier la carte de l'entertainment. Dans un quasi espace-clos, il faut se préparer à voir ses certitudes balayées, à grands coups de marteau dans le crâne par moments - le film adoptant un ton et la montée de violence décomplexée qu'on sent directement importée de chez Tarantino première mouture. De la SF pour l'esprit, sans avoir l'air d'y toucher, qui renouvelle la thématique du paradoxe temporel, du quasi-voyage dans le temps, la manipulation du futur - et du présent. Oubliant au passage de prendre le spectateur pour une poire. Indéniablement déroutant, agréablement photographié et porté par une Danielle Panabaker remarquable d'ambigüité .

TIME LAPSE ne brillera pas par sa virtuosité technique et les amateurs de SF à grand renforts d'effets spéciaux n'y trouveront pas de quoi étancher leur soif. Sa réussite se situe sur une lecture intelligente d'un effet-papillon dont le résultat semble connu d'avance. Semble. Mais dont le scénario cache religieusement d'origine du battement d'aile. L'enjeu se niche dans la passé - pas dans le futur. C'est que qui fait à la fois la force et la faiblesse du film. De jouer sur le tableau du fantastique - avec les limites budgétaires que le visuel du film trahit. Mais également sur celui d'un ton très indé-arty qui pourra rebuter les amateurs de film de genre. Un peu entre deux chaises, le film aura peut-être du mal à trouver son public. Mais pour qui la curiosité chatouille les terminaisons nerveuses, TIME LAPSE fera son office d'intense petit film inattendu. Nul doute que la participation au circuit des festivals aidera à faire décoller sa carrière, ce qui ne serait que justice.

Rédacteur : Francis Barbier
Photo Francis Barbier
Dévoreur de scènes scandinaves et nordiques - sanguinolentes ou pas -, dégustateur de bisseries italiennes finement ciselées ou grossièrement lâchées sur pellicule, amateur de films en formats larges et 70mm en tous genres, avec une louche d'horreur sociale britannique, une lampée d'Albert Pyun (avant 2000), une fourchettée de Lamberto Bava (forever) et un soupçon de David DeCoteau (quand il se bouge). Sans reprendre des plats concoctés par William Friedkin pour ne pas risquer l'indigestion.
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