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Critique du film
THE THEATRE BIZARRE 2011

 

Co-production franco-américaine, THE THEATRE BIZARRE tente de revitaliser un genre tombé en désuétude, celui du film à sketchs. A l'origine du projet, David Gregory (PLAGUE TOWN) le patron de Severin Films aux USA et Metaluna Production, la boite française auxquels sont attachés les noms de Fabrice Lambot et Jean-Pierre Putters. Plusieurs réalisateurs d'envergure diverse se rattachent au projet avec Douglas Buck (SISTERS), Tom Savini (LA NUIT DES MORTS VIVANTS), Richard Stanley (HARDWARE, DUST DEVIL), Buddy Giovinazzo (COMBAT SHOCK), mais aussi David Gregory en personne, Karim Hussain et Jeremy Kasten (THE WIZARD OF GORE). C'est d'ailleurs Kasten qui va mettre en scène le fil rouge : une jeune femme attirée par un théâtre abandonné va assister à un spectacle de marionnettes désarticulées mené par Udo Kier qui va ainsi introduire les segments. Malheureusement, on se rend rapidement compte que le fil rouge ne sert pas à grand chose et n'entretient aucun rapport avec les six récits qui jalonnent le métrage. On s'éloigne radicalement du véritable liant qu'offraient LE TRAIN DES EPOUVANTES, LE JARDIN DES TORTURES, FRISSONS d'OUTRE TOMBE ou encore l'excellent ASYLUM.

Et inévitablement, la qualité des différents segment varie, tout comme leur intérêt, ce qui est souvent une constante dans l'exercice du film à sketches. Mais, dans le cas qui nous intéresse, cela plombe pas mal la portée du film. Grosse déception avec MOTHER OF TOADS, l'histoire réalisée par Richard Stanley avec une actrice remarquable. Catriona MacColl incarne le rôle d'une énigmatique vieille dame dotée d'un accent français à couper au couteau – l'action se déroulant à Mirepoix, France. Un étudiant en ésotérisme se rend chez elle, croyant qu'elle possède un véritable exemplaire du Necronomicon : il tombera dans les palmes de «La reine des Crapauds». Quelconque dans son approche, MOTHER TOADS se dote d'un scénario prévisible et d'un visuel banal. On ne peut pas dire que la manière de filmer ait rendu le pays cathare mystérieux ou redoutable. Il n'y a guère que les effets spéciaux de la créature à se mettre sous la dent. Aucun frisson, un plan nichon et une durée bien trop importante pour cet épisode qui a du mal à se terminer. On pourra y déceler un bref hommage à SUSPIRIA avec la scène de la piscine, et, du coup, on espère que le titre du segment ne fait pas de clin d'œil au désastreux MOTHER OF TEARS du même Argento. Aux confins du ridicule et à oublier très vite. A croire que Stanley était l'homme de deux films... A noter enfin (hasard ?) que l'argument et la construction de MOTHER OF TOADS ressemble curieusement à un des courts-métrages produits par Metaluna qui se retrouvait en compétition au LUFF édition 2011 : MANDRAGORE.

I LOVE YOU de Buddy Giovinazzo nous offre l'environnement urbain de Berlin. On peut y suivre un homme fou amoureux de sa femme, jusqu'à sombrer dans la paranoïa galopante et la jalousie totale. Et il a raison, car elle arrive pour faire sa valise et partir avec un autre homme. D'un drame de la jalousie, le réalisateur parvient à un climax rouge sang funeste. Le style est plus dépouillé, centré sur les personnages plutôt que le décor et l'ambiance – à contrario du premier épisode. Il s'agit donc plutôt de la performance d'acteur qu'on observe, tant malheureusement l'on comprend rapidement ce qu'il s'est passé. Sympa, un chouïa misogyne, avec une très belle conclusion tragique et belle. Mais là aussi un déroulement assez quelconque.

Tom Savini a, lui, parfaitement saisi le sens du mot Grand Guignol et va se déchaîner pour donner la pleine mesure de son talent. Dans WET DREAMS, pas mal de rêves humides, en effet ! Donnie (James Gill) est un mari volage qui effectue un rêve récurrent d'une femme possédant un vagin doté de pinces qui le castre ! Son psy (Tom Savini), lui conseille de sortir de son rêve via un petit truc qu'il lui donne : compter à rebours. En parallèle, la femme de Donnie (Debbie Rochon, fantasque à souhait) va se venger des infidélités de son mari et entraîner des conséquences cauchemardesques inattendues. Le scénario est ingénieux, doté d'un humour noir avec punchline qui fait mouche. Le gore apparaît brutalement via une torture sauvage qui n'est pas sans rappeler la scène de DEUX YEUX MALEFIQUES, épisode du pendule. Tom Savini donne dans le narquois et le méchant, avec des rebondissements plus subtils qu'il n'y paraît et un final bien craspec. Pas du grand cinéma, mais un sens du spectacle sanguinolent fun du plus bel effet.

Curieusement, le segment le plus intéressant de l'ensemble restera celui qui est le plus éloigné d'un hommage au Grand Guignol, à savoir THE ACCIDENT de Douglas Buck. Une conversation entre une mère et sa jeune fille montre qu'elles ont été témoins d'un accident entre une moto et un animal. Sur cet argument simple, dépourvu de fantastique et d'horreur, Douglas Buck développe une atmosphère calme, pudique, à la limite de l'onirique. Il base sa mise en scène sur les jeux de regard, l'expressivité et les cadrages serrés. Une photographie presque éthérée vient compléter cette sorte de temps suspendu entre le catalogue d'horreurs que THE THEATRE BIZARRE prétend nous délivrer. Il y a certainement une très bonne raison pour que les auteurs que THE ACCIDENT figure dans cette anthologie mais là, on ne voit vraiment pas laquelle. Assurément, THE ACCIDENT reste néanmoins une réussite d'une douceur tragique et magnifique.

Tourné au Canada, le segment VISION STAINS de Karim Hussain change complètement de registre. Il part d'une excellente idée : une jeune femme (Kaniehtiio Horn) assassine des femmes sans abri, aspire l'humeur vitreuse dans une seringue, puis s'injecte le tout dans son œil gauche. Ceci afin de voir leur vie défiler, comprendre leur destin et écrire leur histoire. Ames sensibles s'abstenir, les images étant brutes, sales, directes, n'épargnant aucun détail. Et le scénario s'arrête là. La caméra se vautre dans le sale et l'abscons, mais n'offre rien de plus au spectateur qui assiste un peu médusé à un spectacle gratuit sans grand envergure, rappelant vaguement THE EYE. Le final prend une direction attendue avec leçon de morale à la clé, si bien qu'on ne comprend pas spécialement la finalité de l'ensemble. Dérangeant, prenant, comme un uppercut en pleine face, mais sans grand intérêt.

Le dernier épisode nommé SWEETS permet de retrouver brièvement une autre figure hélas disparue des écrans, Lynn Lowry, connue pour ses prestations dans LA NUIT DES FOUS VIVANTS, FRISSONS, SCORE ou encore LA FELINE. Mais cette histoire d'amour entre Greg (Guilford Adams) gavé de sucreries pour l'amour de sa belle Estelle (Lindsay Goranson) ne la concerne que de très loin. Greg y apparaît pathétique, sale, grotesque pour en être presque touchant. Surtout devant le manque apparent de considération qui lui assène Estelle. La pièce où se déroule le dialogue nage dans la crasse et les papiers de bonbons, comme témoin d'une relation gustative à sens unique. Et ce morceau ne vaut finalement que par sa chute brutale. Dommage pour l'originalité, SWEETS pillant allègrement LE DINDON DE LA FARCE, LE CUISINIER LE VOLEUR SA FEMME ET SON AMANT et même FASCINATION pour son point de vue social. La scène finale offre un visuel léché, un gore royal et décadent. C'est ce que l'on retiendra de cet épisode, en fin de compte.

Enfin, la conclusion de ce THEATRE BIZARRE vient via un Udo Kier à la présence toujours aussi phénoménale, mais au service d'un discours somme toute assez banal et d'une chute plus que prévisible. Jeremy Kasten tente de sauver la banalité du propos à travers un visuel extrêmement complexe, aux couleurs travaillés et dotées de sources de lumière que le directeur de la photographie capte de manière remarquable. L'utilisation intelligente du format Scope, les décors, les costumes et les idées des mannequins animés donnent une belle approche du «bizarre» qui palie presque un script inintéressant.

Ce film choral laisse un goût étrange en bouche. On sent bien l'ambition de l'entreprise, mais le rendu à l'écran trahit un manque d'homogénéité des plus criant. Une disparité somme toute fatale à THE THEATRE BIZARRE qui avait pourtant de belles cartes en main. Il reste un spectacle parfois généreux mais terriblement inégal, où chaque spectateur fera son choix sur ce qu'il apprécie en fonction de ses humeurs et de sa culture, mais sans jamais trouver un équilibre d'ensemble sur la totalité des 114 minutes. Clairement inexploitable dans les salles, tout du moins dans le cadre d'une distribution traditionnelle, il fera très probablement sa carrière directement en vidéo.

Rédacteur : Francis Barbier
Photo Francis Barbier
Dévoreur de scènes scandinaves et nordiques - sanguinolentes ou pas -, dégustateur de bisseries italiennes finement ciselées ou grossièrement lâchées sur pellicule, amateur de films en formats larges et 70mm en tous genres, avec une louche d'horreur sociale britannique, une lampée d'Albert Pyun (avant 2000), une fourchettée de Lamberto Bava (forever) et un soupçon de David DeCoteau (quand il se bouge). Sans reprendre des plats concoctés par William Friedkin pour ne pas risquer l'indigestion.
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