Header Critique : ARRIETTY, LE PETIT MONDE DES CHAPARDEURS

Critique du film
ARRIETTY, LE PETIT MONDE DES CHAPARDEURS 2010

THE BORROWER ARRIETTY 

Déroutant, c'est le premier mot qui vient à l'esprit en sortant de la projection du dernier film du studio Ghibli (MON VOISIN TOTORO, PONYO SUR LA FALAISE, est-il encore besoin de le présenter ?). Pas certain de ce que l'on vient de voir, mais la magie est là, on est sous le charme, pour de nombreuses heures (voire de nombreux jours, pour l'auteur de cette bafouille). ARRIETTY, LE PETIT MONDE DES CHAPARDEURS est donc un film étrange, à mille lieux de ce que la bande-annonce laissait supposer. Qu'une chose soit claire : il ne s'agit pas du nouveau film de Hayao Miyazaki, mais de la première réalisation de Hiromasa Yonebayashi, précédemment superviseur des effets visuels du VOYAGE DE CHIHIRO. Une précision d'importance tant l'ombre du maître plane sur tout le film (en charge ici du «projet» et du scénario).

ARRIETTY est en fait l'adaptation d'une série de livres, The Borrowers, écrite entre 1955 et 1982 par la romancière britannique Mary Norton, narrant les aventures d'une famille de «chapardeurs», des petits êtres pas plus hauts que 15 centimètres, vivant dans les combles de nos maisons et volant quelques objets pour survivre. L'œuvre avait déjà eu l'honneur d'une adaptation cinématographique en 1997, LE PETIT MONDE DES BORROWERS, avec John Goodman notamment, et fut la principale inspiration d'une série télé bien connue chez nous, LES MINIPOUSS. C'est, paradoxalement, en situant son action au Japon que le studio Ghibli en livre l'adaptation la plus fidèle :

Arrietty est donc une chapardeuse de 14 ans. Elle vit sous le plancher d'une grande maison avec son père et sa mère. Un jeune garçon du nom de Sho s'installe pour quelque temps dans la demeure familiale. Evidemment, il y a aura rencontre entre les deux mondes, et bien sûr cela aura des conséquences pour chacun, le secret éventé mettant en péril l'avenir de la minuscule famille.

Il est inutile d'en dévoiler davantage, tant ce film ne s'intéresse que moyennement à la promesse d'aventures à petite échelle, aux courses-poursuites endiablées pour échapper au chat de la maison, bref toutes ces choses que l'on serait en droit d'attendre d'un tel postulat. Non, ARRIETTY traite tous ces aspects par-dessus la jambe, les considérant comme autant de passages obligés vite expédiés. Nous sommes ici dans le domaine du contemplatif, du quotidien, de la réflexion, de la communication. Des termes bien étranges quand on parle d'un dessin animé, ce qui le rapproche immédiatement de l'autre grand réalisateur du studio Ghibli, Isao Takahata. Par bien des aspects, la tonalité du film est proche de son extraordinaire POMPOKO, dans son fatalisme suggéré, dans ses pauses scénaristiques fréquentes, dans sa construction narrative à l'opposé total des productions animées occidentales. Une petite digression en passant : il est intéressant de voir à quel point Hayao Miyazaki (en charge du scénario rappelons-le) va à contrario de son propre cinéma (à l'exception peut-être de PRINCESSE MONONOKE). Tous ces questionnements adultes quant à la vie, la mort, les autres, sa propre évolution, dans leur traitement du moins, sont généralement plus l'apanage de son comparse Takahata, Miyazaki étant l'artiste au cœur d'enfant du binôme, laissant à l'autre le soin de jeter un regard un brin pessimiste sur le monde. Attention toutefois, on ne sort pas d'ARRIETTY avec une furieuse envie de se tirer une balle, c'est tout le contraire même, mais avec la sensation d'avoir vécu une expérience plus adulte qu'elle ne le laissait penser, propice à une réflexion concernant le monde qui nous entoure, le rapport aux autres.

Vous l'aurez donc compris, on n'est pas forcément là pour rigoler, le studio Ghibli veut nous parler de quelque chose, et le message est autant triste que porteur d'espoir. Et c'est tout le talent de ses artistes qui est mis à contribution pour ne pas transformer le propos en morale ronflante et lourde. Visuellement, ARRIETTY éclate la rétine à chaque instant. Ghibli possède une charte artistique solide qui fait encore une fois des merveilles. Que ce soit dans les décors magiques de la propriété ou dans l'animation des personnages, pas une faute de goût, pas une faiblesse, on frôle la perfection. Evidemment, le gros challenge du film consistait en ce jeu d'échelle entre les deux mondes. L'impression qu'une simple cuisine peut se transformer en vaste territoire mystérieux dès lors que l'on mesure 15 centimètres. Le spectateur passe constamment d'un point de vue à l'autre et il faut bien reconnaître que la maestria de Ghibli est payante, nous sommes tour à tour humain et chapardeur, sans aucun problème d'adaptation, bref on y croit à fond. Mais tout cela ne marcherait pas sans l'incroyable travail sonore qui nous est offert et qui justifie à lui seul une vision en salle, sur un grand écran et avec de grosses baffles. Pour un chapardeur, tous les sons «normaux» sont amplifiés. Un froissement de vêtements, une goutte de pluie, les pas sur le plancher, tout est assourdissant, presque dérangeant. Cela contribue énormément à la crédibilité de l'univers et fait un effet bœuf sur le spectateur.

Un doux parfum de mélancolie enveloppe le film, et sa musique est au diapason. Une partition incroyablement belle et émouvante, jamais envahissante ou déplacée. A l'opposé des compositions systématiques de Joe Hisaishi sur les autres films du studio, celle d'ARRIETTY étonne par son parti-pris et son originalité. Le studio a en effet choisi de faire appel à l'artiste bretonne Cécile Corbel, pour un résultat encore une fois surprenant. On n'est pas habitué à entendre des mélodies un brin celtiques dans un film d'animation se passant au Japon. Ce qui apporte un plus considérable et abaisse quelques barrières supplémentaires en nous ramenant une fois encore au cœur du film, la rencontre de deux mondes. Humain/Chapardeur, Orient/Occident, riches/pauvres, ARRIETTY c'est un peu tout ça, même si l'on n'en est jamais vraiment sûr. Parce que, justement, ARRIETTY c'est la réunion de beaucoup d'idées, de concepts, de vies, de parcours, tant et si bien que l'on peut se demander de quoi ça parle au final. C'est ce qui en fait ce film autre, et donc déroutant, où ce refus du spectacle et de l'aventure se conjugue au rythme des battements de cœur de ses protagonistes. Nous ne sommes pas en présence d'un film d'animation conventionnel. Il n'est pas à proprement parler calibré pour les enfants (comme pouvait l'être PONYO). C'est une sacrée prise de risque pour le studio et le témoin éclatant de sa volonté de ne pas s'enfermer dans une formule, efficace certes, mais à double tranchant à moyen terme. Le risque est d'autant plus grand lorsque l'on réalise qu'il s'agit-là de leur première vraie œuvre à vocation internationale. Il n'est pas seulement distribué par Disney, il est coproduit par la firme aux grandes oreilles et par Wild Bunch, qui est décidément dans tous les bons coups du moment (rien à voir, mais jetez un œil à FOUR LIONS, ça vaut le détour). Ce qui ajoute une responsabilité supplémentaire sur les épaules de la petite Arrietty. A travers elle se dessine donc l'avenir du studio, son ouverture au monde longtemps refusée par le commandant Miyazaki, ainsi que la première étape d'un passage de témoin interne inévitable et passionnant.

Reste un seul problème pour l'auteur de ces quelques lignes. Où placer ARRIETTY ? Dans les hautes sphères de son TOP 10 2010 déjà sacrément chargé ou dans celui, plus prématuré, de 2011 ? Le film ne répond pas à cette question délicate, et c'est bien là son plus gros défaut.

Rédacteur : Christophe Foltzer
44 ans
10 critiques Film & Vidéo
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