Header Critique : CORRUPTEUR, LE (THE NIGHTCOMERS)

Critique du film et du DVD Zone 2
LE CORRUPTEUR 1972

THE NIGHTCOMERS 

Basé sur “Le tour d'écrou” écrit par Henry James en 1898, le film de Jack Clayton intitulé LES INNOCENTS inspire d'emblée un enthousiasme qui ne faiblira pas au fil du temps. Culte pour de nombreux spectateurs, l'oeuvre éclipse naturellement les autres adaptations du texte original, situation dont souffre la très belle pièce de Michael Hastings, titrée “Le Corrupteur”. Cette injustice ne semble pas atteindre outre mesure le dramaturge lequel suggère à Michael Winner de consacrer un long métrage au dit récit. Déjà à l'origine de THE GAMES (1970) ou L'HOMME DE LA LOI (1971), le jeune cinéaste accepte une proposition qui, présume-t-il, lui permettra de s'essayer sinon au “cinéma d'auteur” du moins au drame psychologique. Afin de vendre une préquelle qui revisite tout de même une oeuvre majeure de l'Épouvante occidentale, le réalisateur propose le rôle principal au très charismatique Marlon Brando. Ce dernier se lance dans l'aventure tout comme Stéphanie Beacham (DRACULA 73, SCHIZO...). Cette volonté de limiter la prise de risque en jouant sur l'excellence de l'équipe se vérifie par ailleurs. Réunissant artistes confirmés (Jerry Fielding, compositeur de LA HORDE SAUVAGE, JOHNNY S'EN VA-T-EN GUERRE ou LES CHIENS DE PAILLE) et personnes de confiance — le directeur photo, Robert Paynter et la celèbre coiffeuse, Stéphanie Kaye, ont assisté Winner sur THE GAMES tandis que le directeur artistique Herbert Westbrook ainsi que le maquilleur Richard Mills apparaissent au générique de L'HOMME DE LA LOI — LE CORRUPTEUR trouve le moyen d'offrir au septième Art une lecture fort audacieuse d'une “ghost story” dorénavant dotée d'une problématique supplémentaire.

L'héroine du “Tour d'écrou” soupçonne ses jeunes élèves d'être sous l'emprise d'un couple de fantômes, ceux des anciens domestiques qui, apprend-elle, eurent l'occasion de côtoyer régulièrement Miles et Flora par le passé. LE CORRUPTEUR revient sur cette période d'apprentissage.

Suite au décès de leurs parents, le garçonnet (Christopher Ellis) et la fillette (Verna Harvey) se voient confiés par leur tuteur (Harry Andrews) à Miss Jessel (Stéphanie Beacham). En dépit de ses efforts, la préceptrice ne parvient pas à limiter l'influence néfaste exercée par Quint (Marlon Brando) sur la fratrie. La situation s'avère d'autant plus périlleuse lorsque l'amour naissant entre les deux adultes prend une tournure malsaine...

LE CORRUPTEUR s'inspire explicitement des personnages du “Tour d'écrou” pour nous offrir une préquelle d'un livre et d'une adaptation cinématographique communément considérés comme des chefs-d'oeuvre du genre. Analysée par Tzvetan Todorov dans sa célèbre “Introduction à la littérature fantastique”, la pertinence tant thématique que stylistique du roman trouve une réinterprétation sur pellicule à la mesure de son extrême richesse au sein des INNOCENTS. Fidèles à leur modèle littéraire, Jack Clayton et Truman Capote parviennent sans peine à retranscrire l'ambiguité évidemment fort angoissante d'un Phénomène — fantômes — dont la réalité se trouve remise en cause par la fragilité psychologique du principal témoin. Unique intermédiaire entre monde représenté et récepteur, la préceptrice présente quelque symptôme d'une maladie mentale potentiellement à l'origine des dites “visions”. Réelles ou pas, ces dernières sous-tendent une métaphore sociologique fondamentale pour qui connaît un tant soit peu les autres écrits du romancier américain. À l'image des “Bostoniennes” (1886), de “Ce que savait Maisie” (1897) ou des “Ambassadeurs” (1903), “Le tour d'écrou” souhaite nous dépeindre la déchéance d'une catégorie sociale dont les valeurs et la façon de vivre seront invalidées, voire perverties, par des confrontations de plus en plus fréquentes avec le “petit peuple”. Au réalisme/naturalisme attendus, Henry James privilégie une “problématisation”, technique visant à condenser en un seul thème toutes les implications et ramifications de l'événement. L'éclatement de la cellule familiale illustre ainsi le lent et douloureux démantèlement des classes aisées anglo-saxonnes issues de l'ère victorienne lesquelles supportent de moins en moins le poids des règles et conventions qui ont pourtant contribué à les redéfinir et les nourrir. À la disparition des parents répond celle d'un oncle refusant d'assumer son rôle de tuteur, d'une gouvernante prisonnière des convenances et d'une préceptrice de ses psychoses. Livrés à eux-mêmes, les enfants constituent les proies idéales d'un diabolique valet bien décidé à semer dans ces deux âmes pures, les germes du Mal. Père de substitution, Peter Quint initie ses ouailles aux vices les plus immondes, minant en profondeur une “caste” déjà très affaiblie par des coutumes inadaptées au monde contemporain. À la différence de maintes figures romantiques telle Rastignac ou du fameux amant de Lady Chatterley (“L'Amant de Lady Chatterley”, D. H Lawrence, 1928), le domestique et sa compagne ne bénéficient pas de véritable valorisation idéologique. Henry James comme Clayton préfèrent les apprécier comme des présences maléfiques non en fonction de leur débauche présumée ni même de leur point de vue sur la question mais en raison de leur capacité à feindre et à mentir. Émissaires terrestres puis ectoplasmiques du Malin, Quint et Miss Jessel paraissent avoir appris aux rejetons l'art de la ruse, du camouflage, des messes basses. L'hypocrisie sociale reflète une décadence plus grave car eschatologique. En ce sens, l'effondrement d'un système de valeur particulier équivaudra à une nouvelle Chute de l'Homme. Cette perspective d'approche n'est plus de mise au sein du CORRUPTEUR.

Dans un premier temps, Michael Winner réutilise une trame métaphorique qui, semble-t-il, correspondrait aux différents problèmes que l'Occident rencontre en ce début de décennie. Bouleversements diplomatiques, guerre du Viêt-nam, émancipation féminine et apparente libération des mœurs ont en effet porté atteinte au modèle familial vulgarisé par les années cinquante. Fréquence des divorces, jeunesse en quête de repères et surconsommation de masse; voilà quelques symptômes d'une crise morale qui coïncide en son principe à celle implicitement décrite par Henry James. À ce titre, la préquelle se justifie naturellement. L'oncle tuteur demeure fidèle à son ancêtre littéraire en refusant de s'occuper de ses neveux, conduite qui permettra à Quint de pénétrer au cœur d'un monde à l'origine inaccessible pour lui. Le valet ne se prive pas de ce plaisir et s'accapare la veste du père défunt, enseigne à Miles l'équitation, la manipulation du cerf-volant, la diététique... A priori bénéfique, cette prise en charge pédagogique reste néanmoins fort contestable car emprunte d'acrimonie. Quint ne peut s'empêcher de faire payer à ses élèves le lourd tribut que les personnes de basse condition octroient souvent aux classes privilégiées. Plaisir sadique à révéler aux orphelins la mort des géniteurs, à torturer de pauvres bêtes devant la jeune Flora ou être cruel envers le frère ; cette figure paternelle s'avère bien plus complexe et ambiguë qu'il n'y parait de prime abord.

La “corruption” est sur ce point conforme au soubassement métaphorique du “Tour d'écrou”. De fait, la déliquescence d'un univers voué à disparaître sous la pression de revendications éthiques et politiques entraîne les “innocents” dans l'infernale spirale du “grand Mensonge” lequel ne relève plus de la vulgaire hypocrisie mais de calculs froidement évalués. Miles et Flora manipulent sciemment leurs homologues adultes pour les contraindre à demeurer à leurs côtés. En ce sens, la fratrie se distingue de son initiateur dans la mesure où, contrairement au personnage d'Henry James, le “corrupteur” possède une dimension positive, précisément liée au romantisme tragique.

Le film de Winner se concentre principalement sur les déboires sentimentaux du couple formé par Peter Quint et Miss Jessel. L'histoire de cette passion maudite prendra progressivement le pas sur les différentes trames narratives. Comprendre les origines du Mal qui touchent les enfants imaginés par James revient à étudier en profondeur leurs connaissance et perception de l'expérience sexuelle, appréciation évidemment conditionnée par l'influence de Quint. La préquelle des INNOCENTS envisage le valet conformément aux grandes figures tragiques puis romantiques pour qui l'amour et le désir ne peuvent que s'accomplir dans l'anéantissement de l'autre. Le sentiment génère une volonté irrépressible de posséder l'objet de convoitise, quitte à lui ôter la vie. Si “Chacun de nous tue ce qu'il aime” (“The Ballad of Reading Gaol”, Oscar Wilde,1897), la conjonction d'Éros et Thanatos implique parfois une agonie plus longue et douloureuse que celle occasionnée par quelque coup d'épée. Conscient du phénomène, l'auteur du CORRUPTEUR convoque un certains nombre de corollaires thématiques (vampirisme lorsque l'amant se glisse silencieusement dans la chambre de la demoiselle) ou “imagologiques” (sadomasochisme). Interprété par le génial Marlon Brando, le protagoniste masculin devient la pathétique victime d'une passion apparentée à celle d'Othello, Frollo ou Nosferatu. L'amour et la haine œuvrent de concert pour reconsidérer le sentiment comme l'esclavage le plus terrible qui soit. Ainsi Peter prend-il un véritable plaisir à faire souffrir une bien-aimée, à cet effet battue, ligotée, flagellée et insultée. L'érotisme sulfureux des séquences s'appuie sur l'aura et la réputation d'un comédien déjà pourvu d'une filmographie significative (UN TRAMWAY NOMMÉ DÉSIR, L'ÉQUIPÉE SAUVAGE, SUR LES QUAIS, REFLETS DANS UN OEIL D'OR). Son imposante carrure, ses yeux de braise, la sauvagerie d'une gestuelle très étudiée et la violence contenue de ses paroles consacrent l'ambivalence tragique d'une passion d'autant perverse qu'alimentée par une révolte sociale. L'éducation et l'érudition de Miss Jessel provoquent la jalousie rageuse de Quint qui compensera son infériorité culturelle en humiliant la pauvre femme. Au final, LE CORRUPTEUR exploite divers motifs du genre (entre autres) fantastique pour orienter la lisibilité du “Tour d'écrou” vers une optique plus humaniste. La corruption dont il demeure question ici affiche la subjectivité originelle de ses implications éthiques en soulignant leur relativité. Le film de Winner fait donc correspondre le Mal à la révolte d'un homme chargé de contester les prescriptions et traditions d'une “bonne société” laquelle voit ses fondements se fissurer sous l'impulsion d'un vent de liberté politique, sexuelle et... cinématographique.

Cette valorisation d'une corruption exclusivement comprise en termes politiques influe naturellement sur les enjeux “mystiques”, voire même surnaturels, de l'oeuvre originale. Le Mal devient irrépressible besoin de liberté, le Bien une prison dorée. Substituer une perspective d'approche purement philosophique à une problématique théologique s'avère très audacieux et par là même intéressant. Dans ce cas, l'idée prévaut sur l'expérience réelle (histoire en tant que telle), psychologique (maladie mentale), existentielle (confrontation avec le Mal) et occasionne une mise en scène particulière. Si le cinéaste tente d'intégrer ses héros au sein d'un cadre référentiel vraisemblable en se souciant des costumes, coiffures et décors, l'ensemble revêt pourtant un caractère artificiel notamment dû à un excès de symboles. Entre les asticots entr'aperçus dans les cheveux d'une gouvernante, le papillon qui meurt “d'avoir aimé”, le pauvre crapaud jouissant d'un gros cigare jusqu'à en éclater ou Miles tentant de s'envoler, le nombre considérable d'allégories évident la trame narrative de ses assises réalistes pour confronter le spectateur à l'asubstance d'un univers parfois assimilé à du théâtre filmé. L'influence de la pièce écrite par Hastings explique la densité des digressions “philosophiques”, paraboles et l'ordonnance sévère de nombreux cadres. Filmés avec ostentation, la cruauté, la mort, l'amour et le désir s'établissent également comme de purs concepts. Parfois horripilante, cette esthétique hybride ne se justifie pas toujours. Si certaines métaphores géographiques (jardin à l'anglaise opposé à la serre), sexuelles (l'arc) et stylistiques (montage qui privilégie l'anaphore thématique afin de transcrire le processus de contamination) trouvent leur place ici, d'autres images ou commentaires tendent en revanche à ralentir inutilement la narration. De manière générale, LE CORRUPTEUR possède un goût d'inachevé peut-être lié à la “jeunesse” d'un réalisateur encore en quête d'identité artistique. Les œuvres ultérieures confirment le bien-fondé de l'entreprise et la nécessité de déceler dans celle qui nous occupe présentement, les germes d'une pensée contestataire. Comme nombre de ses équivalentes, cette préquelle s'érige ainsi en profession de foi.

Édité par Studio Canal, le DVD français n'offre qu'une bande-annonce (vost) en guise de bonus. Ce maigre “butin” reste néanmoins fort instructif quant aux objectifs purement commerciaux d'une pratique qui, pour promouvoir un film, tend à se concentrer sur ce qu'elle estime être “vendable” (images chocs, évidemment), quitte à éluder les véritables qualités du dit produit. À regarder après le long métrage pour mesurer le décalage — édifiant ici — entre réalité et “publicité”. Les cinéphiles regretteront de ne pouvoir apprendre davantage sur la genèse d'une œuvre si méconnue et singulière. Dommage.

La qualité technique de la galette est en revanche acceptable. Proposé en 16/9 ème, le film présente une image claire, non granuleuse et des contrastes corrects. Le son mono (encodé sur deux canaux) pour la version originale sous-titrée et le doublage français pourrait bénéficier d'une meilleure dynamique. Plus étouffée, la version française ne dessert pas réellement ce qui demeure une véritable petite curiosité.

Rédacteur : Cécile Migeon
46 ans
33 critiques Film & Vidéo
1 critiques Livres
On aime
La possibilité de visionner une œuvre rare
La prestation de Marlon Brando
La musique
Une lecture du “Tour d’écrou” intéressante
L’érotisme sulfureux de certaines scènes
On n'aime pas
Le caractère parfois brouillon du film
L’absence de bonus
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L'édition vidéo
THE NIGHTCOMERS DVD Zone 2 (France)
Editeur
Support
DVD (Simple couche)
Origine
France (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
1h36
Image
1.85 (16/9)
Audio
English Dolby Digital Mono
Francais Dolby Digital Mono
Sous-titrage
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