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Critique du film et du DVD Zone 2
FRAGILE 2005

 

Amy (Calista Flockhart), une infirmière devenue dépressive suite à un drame professionnel, accepte un remplacement dans un hôpital pour enfants. Le lieu, vétuste, dont certains recoins sont condamnés, est sur le point d'être abandonné par ses patients et le personnel. Tandis que le transfert s'organise, une étrange présence s'acharne sur la communauté de l'hôpital, allant jusqu'à mutiler les enfants en leur brisant les os. Une présence que ces derniers ont baptisé «la fille mécanique».

Le nom de Jaume Balaguero s'est imposé aux amateurs de fantastique grâce à un seul film, son premier long-métrage en 1999, LA SECTE SANS NOM. Un film cru, au pitch particulièrement perturbant : une femme reçoit cinq ans après l'assassinat de sa fille un coup de téléphone de cette dernière l'appelant mystérieusement à l'aide. Le film est un succès, même si l'écriture ne tient malheureusement pas toutes les promesses de son histoire. Jusqu'alors amateur d'ambiances poisseuses et d'accélérations de caméra extorquées au cinéma expérimental, Balaguero choisit néanmoins la voie d'un fantastique beaucoup plus classique avec DARKNESS et ses esprits tapis dans l'ombre. Un essai des plus sobres puisque le monstre est ici le «noir», avec toutes les ramifications d'angoisses enfantines qu'il engendre. Troisième film de fiction pour Jaume Balaguero, FRAGILE poursuit la lecture du fantastique instauré par DARKNESS. Soit un cinéma toujours plus classique, épuré et adulte, bien que l'angoisse soit générée par le rapport à l'enfance.

FRAGILE porte extrêmement bien son nom. Le titre fait référence à une maladie, l'ostéogenèse imparfaite surnommée «la maladie des os de verre». Une pathologie génétique rarissime entraînant une hyper fragilité du squelette, et qui avait déjà été citée dans INCASSABLE de M. Night Shyamalan. Mais FRAGILE c'est aussi l'état émotionnel du personnage principal, Amy, qui n'arrive pas à apaiser le terrible sentiment de culpabilité entraîné par une erreur professionnelle. Ecrasée par la dépression, elle n'entretient qu'une faible lueur de salut dans sa relation privilégiée avec la petite Maggie, qui derrière une façade de sentiments mère/fille figure le désir repenti du personnage principal. Enfin, FRAGILE, c'est également la représentation sans fanfare du fantastique dans un récit immédiatement réclamé du «film de fantôme». Pas ou très peu d'effets chocs, un surnaturel dégraissé au maximum pour être rendu au plus «crédible», le film de Balaguero tourne le dos aux conventions faciles pour se concentrer exclusivement sur l'ambiance et l'émotionnel de son histoire.

A ce titre, le metteur en scène se permet d'ailleurs quelques petits coups de bluff. On pense notamment à ce plan séquence où Amy prend des anxyolitiques depuis une armoire à pharmacie aux panneaux vitrées. Nous connaîssons le truc par coeur : le personnage ouvre le panneau et lorsqu'elle le refermera, une ombre sera apparu subitement dans un hurlement de trompettes ! Mais là, non. Le plan continu, alors nous nous disons que le metteur en scène va craquer et nous coller cet effet un peu plus tard dans la continuité… Non plus. Amy ne cessera pourtant d'ouvrir et fermer les volets vitrés, sans qu'aucun effet bas de gamme ne viennent phagocyter l'exigence ambiante. En lieu et place, Amy se confiera au médecin de l'hôpital via un dialogue déchirant d'angoisse et de remords. Une séquence dont le parti pris résume parfaitement la démarche de FRAGILE.

Bien évidemment, le but de Balaguero n'est pas de révolutionner les codes du film de fantômes, mais d'y apposer néanmoins une vision très personnelle. Il est difficile d'expliciter de manière plus approfondie cet argument sous peine de se rendre coupable de quelques facheuse «révélations». Mais, alors que de nombreux metteurs en scène se tirent les cheveux à tenter de trouver de nouveaux assaisonnement aux recettes éprouvées (la maison hantée, qui devient la cassette vidéo hantée, qui devient le téléphone portable hanté, qui devient le site web hanté, qui devient la charentaise hantée), Balaguero suit consciensieusement les modèles des maîtres (LA MAISON DU DIABLE, SHINING… On les connaît tous par coeur) tout en réfléchissant à la source de la figure du fantôme. Et si le fantôme n'était pas qu'un bloc de haine prompt à se venger ? On trouve dans FRAGILE quelques corrélations avec le fantastique d'Alejandro Amenabar pour LES AUTRES (la pulsion du retournement de situation final en moins), des appointances avec le regard doucereux de l'homme/enfant instauré par Guillermo del Toro dans L'ECHINE DU DIABLE, tout en songeant au magnifique DARK WATER d'Hideo Nakata, qui détournait les ficelles du cinéma d'horreur pour toucher la sève d'un terrible drame familial.

FRAGILE ne mise donc pas tout sur la peur. Pour ainsi dire, les frissons sont même plutôt rares dans la première moitié du métrage : un espace de récit entièrement construit autour des personnages et des très beaux portraits d'enfants malades. Si le film cède néanmoins à quelques coquetteries comme celle déjà bien connue des cubes de lettres qui forment des mots de manière autonome (on pense notamment à L'HOPITAL ET SES FANTOMES de Lars Von Trier), il concentre tous ses efforts horrifiques sur sa seconde partie où le surnaturel prend définitivement possession du métrage dès lors qu'il révèle progressivement sa terrifiante (et aussi très réussie) «Fille Mécanique». Le clivage du film se trouve lorsqu'Amy visite pour la première fois l'étage condamné de l'hôpital où le fantôme prend sa source : une longue balade dans des couloirs où l'hygiène froide de l'hopital est remplacée par une atmosphère étouffante de décrépitude. Le climax sera quant à lui bien plus physique puisque le surnaturel ira jusqu'à ébranler l'établissement tout en fracturant à répétition les corps des pauvres enfants.

Bien que d'origine espagnole, FRAGILE est tourné en langue anglaise par des comédiens en majorité anglophones (le récit du film est situé en Angleterre). L'acteur australien Richard Roxburgh interprète le médecin en chef de l'établissement, un rôle pudique bienvenu après des prestations parfois grossières comme dans LA LIGUE DES GENTLEMEN EXTRAORDINAIRES de Stephen Norrington ou VAN HELSING de Stephen Sommers (et oui, le Dracula vicomte de la bagouse c'était lui). Dans le rôle principal, Balaguero mise sur une comédienne connue mais à contre emploi total, Calista Flockhart. Révélée par la série télé ALLY McBEAL, l'actrice était jusqu'alors l'incarnation de la trentaine pétillante, maladroite mais néanmoins irrésistible. Là où de nombreux acteurs de télé ratent leurs conversions au cinéma en cédant à la facilité des comédies sentimentales, Calista Flockhart relève avec grand talent le défi de ce rôle d'apparence ingrat : elle n'est pas mise en valeur par des maquillages estampillés «belle peau», elle doit rendre attachant par légères touches un personnage plutôt froid (car le personnel des hôpitaux se réfugie systématiquement dans une certaine distance pour limiter la charge émotionnelle avec les patients), et enfin elle n'est pas épargnée par la représentation d'une dure dépression. La grande réussite de FRAGILE doit beaucoup à l'excellence de sa prestation.

FRAGILE remporta le Goya (l'Oscar espagnol) pour ses effets spéciaux, rafla moult prix au dernier festival de Gerardmer (Prix du Jury, Prix du Jury Jeunes, Prix 13e Rue, Prix du Public de l'Est Républicain). Il semblait évident que le film allait bénéficier d'une sortie en salle un peu plus digne que celle de DARKNESS quelques années plus tôt. Le distributeur français en décidera autrement en privant scandaleusement FRAGILE d'une exploitation salle pour privilégier une diffusion télé et une sortie directement en DVD. Une honte, compte tenu de la qualité photographique et atmosphérique du film qui réclamait à tout prix le grand écran.

Heureusement, le DVD propose une image au format et anamorphosée sans aucun défaut. Le disque donne le choix entre un mixage stéréo ou multicanal en version originale ou française. On préférera bien évidemment la version originale en Dolby Digital 5.1, alternant les ambiances sonores minutieuses et les déchaînements soniques d'une rare violence. L'édition espagnole du titre affichait fièrement deux disques bien remplis de bonus, entre un commentaire audio du réalisateur et de nombreux documentaires sur le film. Il faudra se contenter ici d'un Making Of d'une vingtaine de minutes. Intéressant bien que promotionnel, donnant à voir l'ensemble du spectre de production, il n'en constitue pas moins un pis-aller dur à avaler compte tenu de la richesse de l'édition espagnole.

Après DARKNESS, Jaume Balaguero ne change pas son fusil d'épaule et creuse avec FRAGILE le sillon d'un fantastique classique et exigent, où la frivolité de la trouvaille est délaissée au profit de la perfection d'un récit épuré à ses fondements premiers. Pour l'instant noyé au milieu du fort rendement des films de fantômes principalement venu d'Asie, FRAGILE saura à n'en point douter s'imposer au fil des années comme une oeuvre majeure dédiée à la figure fantomatique. On en reparle dans dix ans...

Rédacteur : Eric Dinkian
Photo Eric Dinkian
Monteur professionnel pour la télévision et le cinéma, Eric Dinkian enseigne en parallèle le montage en écoles. Il est auteur-réalisateur de trois courts-métrages remarqués dans les festivals internationaux (Kaojikara, Precut Girl et Yukiko) et prépare actuellement son premier long-métrage. Il collabore à DeVilDead depuis 2003.
48 ans
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287 critiques Film & Vidéo
On aime
Un excellent film
Formidable Calista Flockhart
On n'aime pas
Une édition qui fait le minimum pour un film déjà sacrifié dans son exploitation française
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L'édition vidéo
FRAGILE DVD Zone 2 (France)
Editeur
Support
DVD (Double couche)
Origine
France (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
1h37
Image
2.35 (16/9)
Audio
English Dolby Digital 5.1
English Dolby Digital Stéréo Surround
Francais Dolby Digital 5.1
Francais Dolby Digital Stéréo Surround
Sous-titrage
  • Français
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