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Critique du film et du DVD Zone 2
LES COULEURS DU DIABLE 1997

 

Cuisant échec lors de sa sortie cinéma totalement bâclée fin Janvier 1997, LES COULEURS DU DIABLE représente à ce jour le dernier effort de réalisation d'Alain Jessua. Coproduction franco-italienne avec l'inénarrable Sergio Gobbi, le film a sombré depuis dans l'oubli et reposait dans le cimetière des films passés inaperçus jusqu'à ce qu'une édition DVD zone 2 fasse irruption sans crier gare en 2003 dans certains supermarchés français.

Nicolas (Wadeck Stansczak) est un jeune peintre sans succès qui rencontre le mystérieux Bellisle (Ruggero Raimondi). Il souhaite aider le jeune peintre et lui indique des lieux où une mort subite va se passer. Suicide, meurtre, accident… vont se coucher sur la toile. Et c'est le succès, jusqu'à amoindrir sa vie privée mais lui permettre tout de même de rencontrer la belle Valérie (Isabelle Pasco) au passé nébuleux.

Le film se distingue par une richesse des thèmes développés et une intrigue policière entrelacée avec une autre à la lisière du fantastique. C'est un véritable festival de détails, relié par une minutie du cadre et de plans furtifs, rapides, où l'oeil du spectateur est mis à rude épreuve afin de réussir à capter l'ensemble. LES COULEURS DU DIABLE est un film sur le fil de nombreuses influences, mélangeant art graphique, intrigue faustienne et cinéma.

Et puisqu'on parle de couleurs dans le titre, la mise en images y fait directement référence. La couleur y est celle de la mort ainsi que du sang et l'emphase est mise sur une codification via la présence du rouge à de très nombreuses reprises. Tout l'environnement du jeune peintre dès sa rencontre avec Bellisle va tourner autour de cette couleur et du sang. Du bocal (6mn27) à la Fiat Rouge (référence à FRANKENSTEIN 90 ? on ose à peine y croire !) précédent l'arrivée de Bellisle (30mn32), en passant par les gants de boxe du gagnant (32mn34), le programme de l'exposition de Nicolas (59mn40), la tenue d'Andrea Ferreol (60mn02) ou l'encadrement de la fenêtre, la porte d'entrée de son atelier, sa chemise, le pull du suicidé, Bellisle buvant une boisson qui s'avère être un diabolo grenadine…. Tout tourne autour d'une couleur référence, symbole de vie et/ou de mort. Comme si l'intrigue était articulée autour d'une sorte de jeu de pistes autour de cette couleur du sang qui viendra jusqu'à devenir la part même d'un tableau. En effet, le sang devient peinture et la réalité rejoint la fiction (72mn50).

Réalité contre fiction : il s'agit bien aussi d'un autre thème brossé par Alain Jessua. Quelles influences ont l'un sur l'autre ? Cette représentation de la réalité des morts vécues par Nicolas amorce une réflexion sur l'interpénétration de ces deux notions. Tourné en Italie, berceau de la peinture et de la représentation picturale de la troisième dimension, rien n'est laissé au hasard. Ainsi la première mort à laquelle assiste le peintre se déroule Place du Risorgimento (mouvement culturel, spirituel et politique italien du 18eme et 19eme siècle). D'autre part, la relation qui lie Art et Pornographie semble là aussi tout aussi floue quant au travail de l'ancien protégé de Bellisle et ceux de Valérie. La nature peut influencer la culture qui lui retourne la faveur en la dessinant sans barrière morale.

Le summum de ce paradoxe peut se voir dans la scène du Peep Show, appelé «Cabaret 666» (dont on peut trouver une résonance dans JEU DE MASSACRE mais aussi dans FRANKENSTEIN 90). Le nom, référence directe au Diable ou à Faust semble trop évidente (le sexe, c'est l'enfer ?), parait trop appuyée. Le choix de l'éclairage est celui de la lumière noire afin d'accentuer le voyeurisme. Eros et Thanatos se mélangent à outrance, la danse de séduction s'avérant être une danse de mort, fétichisée à outrance, aboutissant à l'égorgement de la victime, le sang giclant sur la vitre sous les yeux du peintre épouvanté... Mais qui finira par reproduire cette mort sur sa toile.

Le film est ainsi émaillé de brillances visuelles, telle la composition du processus de création artistique du héros lors du match de boxe (32mn30). Une alternance de croquis et d'images réelles vient rythmer l'affrontement de deux boxeurs qui tourne là aussi à la mise à mort.

Qui est ainsi ce mystérieux Bellisle qui pousse Nicolas à être voyeur de morts puis à les peindre ? L'incarnation du Diable sur Terre ou un de ses disciples ? Ou juste un manipulateur, incarnation du mal par simple plaisir, provoquant les carrières et poussant chacun dans ses ultimes retranchements ? Il semble influer sur le cours des événements, connaître le futur, se nourrir de la souffrance et du génie de certains artistes ou simplement espérer que la mort ne se manifeste au bon moment. La réponse ne sera jamais vraiment claire, ce qui est une grande qualité... Ne pas apporter de réponses préfabriquées, prêtes à l'emploi. Poser les questions qui s'imposent, provoquer la réflexion.

L'argument fantastique ne disparaît de ce fait jamais, même avec la présence de l'inspecteur (…) amateur d'art, joué de manière nonchalante par Luca Zingaretti. Les morts sont réelles et le fait de retrouver les cadavres représentés de manière aussi saisissante (mêmes positions, etc.) ne peut qu'éveiller les soupçons. Si l'intrigue policière parait secondaire et encombre un peu la narration, elle fait office de seul instant où la réalité des événements possède une emprise sur Nicolas. Histoire aussi de se rappeler qu'on ne se nourrit pas sans conséquence de la mort.

On peut également se demander jusqu'à quel point le point de vue du peintre, ses désirs, ses frustrations, ses créations ne sont pas un contrepoint idéal quant à celui du métier de cinéaste ? Lorsque Nicolas vomit les critiques, fait référence à Oscar Wilde sur la Nature imitant l'Art, où la phrase anodine «Le désespoir n'attend pas le nombre des années», l'amertume du propos étonne.

Aussi, le monde de l'art y est décrit de manière peu reluisante. Andrea Ferreol fait office de mère maquerelle, prédatrice du genre. Un mode de vampirisme moderne, financier, particulièrement vorace et peu amène quant à la notion d'humanité. Le sang y aurait-il un couleur d'argent ? Vu en ce sens, LES COULEURS DU DIABLE prend la tournure d'une parabole sur l'état d'esprit de l'artiste face aux décideurs et ce qu'ils peuvent lui imposer en matière de créativité.

Si Ruggero Raimondi est un Bellisle séduisant aux forts accents méphistophéliques, venimeux et dangereux, Wadeck Stansczak est un Nicolas hélas bien faible, tout en éclat de colère mais sans réelle nuance. La déchéance morale ne se fait guère sentir. La fragilité insolente et l'exubérance maladive d'Isabelle Pasco tranche ainsi de beaucoup avec la faible interprétation du héros.

Une fois de plus, on peut remarquer l'importance du choix de la partition musicale chez Alain Jessua. Michel Portal, déjà auteur de la musique pour LES CHIENS et EN TOUTE INNOCENCE, compose ici un mélange étrange d'incantations (référence au vaudou, autre thème où la frontière entre fantastique et réalité demeure plus que ténue ?) et de bandonéon qui créé un décalage supplémentaire. A noter également que le montage est effectué par une autre fidèle collaboratrice du réalisateur, Hélène Plemiannikov, qui officie sur tous les films d'Alain Jessua depuis TRAITEMENT DE CHOC.

La jaquette indique un format 1.33:1. Information mensongère car LES COULEURS DU DIABLE bénéficient d'un transfert 16/9 et d'un format original 1.66 respecté. La copie est sans aucune aspérité mais demeure hélas fade et avec peu de contraste. Le jeu sur les couleurs et l'alternance de scènes intérieures/extérieures nuit/jour aurait requis un meilleur piqué. Mais le film n'ayant probablement bénéficié d'une édition suffisamment attentionnée sur le magnifique travail de la photographie de Pasqualino de Santis, on devra hélas se contenter de ce peu. Le film reste en tous cas inédit ailleurs qu'en France actuellement.

La piste sonore présentée est d'excellente qualité. Le film fut enregistré en Dolby Digital à l'origine mais vraisemblablement sans aucune copie en son digital de tirée pour sa sortie cinéma. Très bons rendus d'effets stéréo, bon équilibre entre dialogues, musiques et environnement sonores divers. Pas un univers n'empiète l'un sur l'autre, si bien qu'on profite d'un mixage de qualité. On regrette forcément qu'un éventuel mixage 5.1 n'ait pas apporté une dynamique supplémentaire. Les bonus présents, si on passe sur les piètres menus animés, se limitent à une filmographie des trois principaux acteurs et d'Alain Jessua. Le bref commentaire sur sa carrière n'était ni fait ni à faire aux vues du résultat.

LES COULEURS DU DIABLE, malgré le soin apporté au visuel et au scénario riches en thèmes, n'échappe malheureusement pas à la banalité de son aspect policier. Il demeure cependant largement provocateur et suffisamment alambiqué pour intéresser jusqu'au bout de la toute dernière image (juste avant le générique de fin). Il est aussi fort regrettable qu'il soit quasi invisible aujourd'hui et disponible dans une édition minimaliste. Le film a cependant de quoi largement satisfaire l'appétit de tout fantasticophile curieux.

Rédacteur : Francis Barbier
Photo Francis Barbier
Dévoreur de scènes scandinaves et nordiques - sanguinolentes ou pas -, dégustateur de bisseries italiennes finement ciselées ou grossièrement lâchées sur pellicule, amateur de films en formats larges et 70mm en tous genres, avec une louche d'horreur sociale britannique, une lampée d'Albert Pyun (avant 2000), une fourchettée de Lamberto Bava (forever) et un soupçon de David DeCoteau (quand il se bouge). Sans reprendre des plats concoctés par William Friedkin pour ne pas risquer l'indigestion.
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L'édition vidéo
LES COULEURS DU DIABLE DVD Zone 2 (France)
Editeur
Films de l'Astre
Support
DVD (Double couche)
Origine
France (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
1h22
Image
1.66 (16/9)
Audio
Francais Dolby Digital Stéréo
Sous-titrage
  • Aucun
  • Supplements
      • Filmographies
      • Alain Jessua
      • Ruggero Raimondi
      • Isabelle Pasco
      • Wadeck Stanczack
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