Interview Joe Alves

2. Partie 2

Francis Barbier : Comment se passe une transition de directeur artistique à réalisateur?

Joe Alves : C'est une transition interessante. Vous faites partie des techniciens, ceux qui dirigent l'art, la couleur, la profondeur des décors. De ce fait, le travail effectué sur la technique, que vous soyez directeur artistique ou directeur photo, comme Bill Fraker, excellent. C'est un chemin presque logique. Ce qui me chagrine : que des acteurs plutôt médiocres qui passent parfois derrière la caméra sont appelés des artistes. Mais pas des gens comme nous. Cela a beau être frustrant; c'est la norme, en fait.

Il y a quand même des contre-exemples, comme Ridley Scott que vous avez cité.

Il y a en effet des cas comme Ridley Scott ou James Cameron, mais c'est plus rare. Jim travaillait pour Roger Corman sur des petits films. il a plus ou moins fait PIRANHAS 2 et on entendait pas vraiment parler de lui. Et puis il a fait TERMINATOR. Mais même lorsqu'il était plus jeune, il avait toujours cette qualité arrogante à propos de lui. (rires) Très talentueux, mais une telle confiance en en lui qui ressort comme de l'arrogance.

Et après SUGARLAND EXPRESS, comment s'est enchaîné LES DENTS DE LA MER?

J'ai encore fait quelques projets pour le télévision. Dont un avec Alan Alda, Edmund O'Brien, puis un autre téléfilm avec Bette Davis. puis je reçois un appel d'Universal. Il y avait deux gars à l'autre bout du fil. David Brown était un littéraire, un éditeur pour Cosmo. Zanuck était lui un producteur de talent, avant d'être viré par son père de la Fox. Ils étaient sous contrat pour présenter un projet à Universal. C'etait à propos de requins et on me demanda de faire quelques croquis. ils avaient en main quelques pages d'un projet de livre mais ne savaient pas comment présenter le tout. En fait, la plupart de gens me demandent souvent comment je suis arrivé sur LES DENTS DE LA MER. Et ce que je peux dire, c'est qu'il est très inhabituel d'être engagé avant le réalisateur pour un film. Mais c'était parce que j'étais déjà au studio, parce que les shows télévisés ne me prenaient pas trop de temps, seulement la matin.

Combien de croquis?

j'en ai effectué 24. Et pendant ce temps, j'allais voir Steven dans son bungalow qui était sur le studio. Il y avait dans l'air un film de pirate (NB : qui est devenu SWASHBUCKLER de James Goldstone), on parlait de tout ça. Sid Sheinberg était le promoteur de Steven à ce moment. SUGARLAND EXPRESS n'a pas rencontré un grand succès. Mais DUEL, oui. Le film possédait une véritable énergie.

Comment s'est passé le tournage des DENTS DE LA MER, notamment avec le fonctionnement du requin?

(soupirs) je passe mon temps à défendre le fonctionnement des requins! Laissez-moi expliquer et être parfaitement clair à ce sujet. J'ai présenté les 24 dessins à toute l'équipe des effets spéciaux, les têtes de pont de la production dans le bureau de patron. Steven était là aussi. Et j'ai dit : voici les activités du requin qui se passent dans le livre. Le gars des effets spéciaux ont alors dit «mais on ne peut pas faire ça! Cela prendrait au moins un An et demi pour le construire. D'autre part, nous avons des films beaucoup plus gros comme TREMBLEMENT DE TERRE ou L'ODYSSEE DU HINDENGURG qui arrivent». Le big boss était très agacé, il a tapé du poing du la table et il a dit «LES DENTS DE LA MER peut être un bien plus gros film que TREMBLEMENT DE TERRE ou L'ODYSSEE DU HINDENGURG!». Fin du meeting. Je remballe mes dessins, Marshall me rappelle et me demande si je peux faire le requin. Je n'avais rien à perdre et j'ai dit oui, je peux essayer. il m'a dit OK, mais de le faire en dehors du studio. C'est un point important car à l'époque, tout était fait au sein du studio. Il fallait donc que je trouve quelqu'un pour l'élaborer. Je suis d'abord allé chez Disney et il m'a été répondu « oui on peut le faire mais tu es fou, on ne le fera pas aller dans l'eau! ». Et là, je parle des responsables des effets spéciaux, qui m'ont aussi précisé que cela allait prendre un an et demi. Mais quelqu'un me recommanda Bob Mattey, un gars à la retraite qui avait fait sa carrière chez Disney. Il avait réalisé la pieuvre géante dans 20 000 LIEUES SOUS LES MERS (NB : la version de Richard Fleischer, où il n'est pas crédité au générique).

C'est donc avec lui que vous avez construit le requin.

J'ai commencé à étudier en Californie à quoi ressemblent les requins. De voir la longueur, la grosseur… surtout à quoi ressemblait un requin de 4 mètres. Car plus les requins deviennent grands, plus ils deviennent gros. ce qui n'est pas forcément très esthétique. Et j'ai dit à Spielberg qu'un requin d'environ 8 mètres aurait un air méchant mais une apparence trop grasse. J'ai donc élaboré un requin d'un peu plus de 4 mètres de long en argile, avec une armature solide. Avec pas mal de détails : un requin « parfait ». Bob et moi avons recruté une équipe. je les appelais « Les 7 Mercenaires » : des experts. En divers domaines comme l'électronique, les frères Woods , Roy Arbogast qui connaissait un plastique spécial qui permettait de bouger la bête sans permettre d'absorber l'eau une fois que le requin fut immergé. Nous avons commencé tranquillement dans une société de fourniture de nourriture pour tournages dans un grand hangar. Pendant ce temps, on m'a envoyé rencontrer Peter Benchley (NB : l'auteur du livre DENTS DE LA MER). Bob avait déjà prévu que nous aurions un requin qui irait de gauche à droite, puis un autre de droite à gauche et enfin un troisième comme une sorte de bac qui flotterait puis irait sous l'eau. Nous avions donc besoin d'en endroit afin d'immerger l'ensemble. La côté ouest était hors de question car il y avait de grandes marées. Et je me trouve à New York avec Peter et une carte afin qu'il me montre pour quel endroit il avait écrit l'histoire. Mais pas d'endroit spécifique. Je dus aller par moi-même aller faire des repérages, dans la neige, du côté d'iles qui me semblaient coller. Dans le Nantucket, puis à Martha's Vineyard en l'occurence, du côté d'Edgartown. C'était parfait. Je fais des clichés et je repars en parler à Steven; On revient avec lui et Bill Gillmore : on tombe d'accord sur Martha's Vineyard.

Tout semble parfait, alors?

Richard Zanuck avait un problème. L'environnement était tellement riche. C'était là où par exemple les Kennedy avaient leur résidence. Ce qui donc ne semblait pas une bonne idée/ Mais Bill Gilmore est un homme d'affaire avisé. Il impliqua le maire, et parla du fait du tournage en hors saison, ce qui n'importunerait pas la vie de la ville et des habitants. mais subitement, un autre problème survient : le livre sort en janvier et devient un succès monumental. Et le studio, qui n'en avait rien à faire de savoir si le requin fonctionnait ou pas, nous dit qu'il faut commencer à tourner en avril. Quoi?? Steven demande à commencer au moins en mai mais non. Ca donnait quoi à bob Mattey? Pas un an et demi, mais quatre mois! Nous avions à peine commencé à faire bouger le requin qu'il fallait déjà l'emmener à Martha's Vineyard. Alors nous avons démarré le tournage avec des barils pour représenter le requin. LE REQUIN NE MARCHE PAS.. BIEN SÜR QU'IL NE MARCHE PAS ENCORE, NOUS DEVIONS AVOIR UN AN ET DEMI POUR LE FAIRE FONCTIONNER! Bob a bien tenté une première fois, mais le requin s'est retourné. J'ai alors fait près de 300 story boards sur les scènes à tourner. Et au fur et à mesure, je suis allé voir Steven en disant « ça y est, on pense que le requin qui va de gauche à droite fonctionne ». Et on commençait à tester : si ça marchait, on tournait. Mais pour la protection de tout le monde, on continuait à dire que le requin ne fonctionnait pas. On n'allait pas au-delà du budget, c'était juste la faute du requin. Il ne fonctionnait pas car nous n'avons jamais eu le temps pour le tester. Dans LES DENTS DE LA MER 2e PARTIE, il fonctionnait tout le temps, tout comme LES DENTS DE LA MER 3D. Car on a eu le temps nécessaire!

Il semble quand même que ce n'est pas tout à fait le travail pour lequel vous avez été engagé, à vous entendre…

Pour DENTS DE LA MER, mon job a dépassé celui d'un directeur artistique. Je devenais un coordinateur entre l'équipe des effets spéciaux et Steven. Ce qui était prêt, ce que nous pouvions tourner. Steven voulait vraiment que la gueule du requin soit fonctionnelle : je repartais en disant, « voilà ce qu'on doit faire maintenant ». Et le tout sur les 300 story boards accrochés dans le bureau de production. Richard Zanuck devenait fou et devait mentir au studio en prétendant qu'il ne restait que quelques plans à tourner. Alors qu'il n'y avait que la moitié d'effectif. C'est intéressant de constater comment le studio vous combat constamment - et lorsque le film marche, ils empochent tout le crédit. « oui, on le savait depuis le début »; Mon oeil, oui. Et sur la suite, ils voulurent faire tout au sein du studio. Pour le 1, le requin couta 250 000 dollars. Et pour le 2, cela grimpa à 2,5 millions. C'est ce qu'il se passe lorsqu'on travaille en dehors d'un studio. petite équipe, des problèmes avec le syndicats parce qu'on emploie des locaux…

Mais qu'en est-il du fonctionnement pendant le tournage?

Le requin faisait de drôles de bruit en l'actionnant, ce qui faisait rire toute l'équipe. Mais on persévérait. Et je dois donner beaucoup de crédit à Steven pour cela. Nous n'étions que 5-6 personnes à vraiment croire au film. La monteuse Vera Fields, qui gagna un Oscar pour la peine, l'équipe de la photographie, Bill Gilmore, mon équipe… on devait le finir. Plan par plan. On tournait des scènes, le requin ne marchait pas et tout le monde riait. On devait tout recommencer, encore et encore. Si bien que je dis à un moment à Steven, «attention, nous n'avons plus que deux requins fonctionnels». Il a fallu faire avec. Mais on a du vraiment avoir recours à notre ingéniosité, sur mon côté artisanal, je suis aussi un peu charpentier, pour venir à bout du tournage. Aussi important que le film puisse être, il était en fait tout petit dans son essence. On a tourné dans l'allée qui mène à ma maison, dans la piscine de chez Verna Fields pour une scène de la gueule en gros plan… alors quand on me demande si je pensais que le film allait être un succès… j'ai toujours pensé que le film allait être une grande expérience, mais j'avais vraiment peur que les spectateurs allaient rire. Car l'équipe de tournage riait pendant que nous tournions les séquences avec le requin.

Qui composait votre équipe?

J'avais un peintre et un charpentier que j'ai emmené avec moi à Martha's Vineyard. C'est tout. pour le reste, j'ai engagé des locaux pour construire l'orque. Ils étaient contents car nous les employions, ce qui leur faisait pas mal d'argent. Une chose très positive pour les entreprises locales. C'était très difficile mais l'ambiance nous a aussi fait un peu tourner la tête. j'ai rencontré un fille très sympa (rires), elle est d'ailleurs dans le film à hurler « requin! requin!« (rires)… mais la pression, le temps de bord de mer… c'était tellement imprévisible. Tu sors, il fait beau et subitement, tout change. On était obligé de bouger le bateau constamment d'un lagon à l'autre. Lorsqu'on est rentré en Californie, on n'a pas vraiment été accueillis comme des héros, on était juste l'équipe qui bien avait dépassé le budget. Steven a été incroyablement fort dans ces moments-là. C'est pour cette raison que j'ai déplacé tous les éléments aquatiques en Floride pour LES DENTS DE LA MER 2e PARTIE. Mais on a travaillé avec des gens extraordinaires.

Et comment se passèrent les premières projections?

Avec l'addition de la musique de John Williams, les effets sonores et le travail de Steven, personne ne rit à la première. Ils hurlaient, en fait. Après cette avant-première, Universal décida de faire une grosse sortie. Pas près de 4 000 écrans comme aujourd'hui, mais 450- ce qui était énorme à l'époque. Et le film creva le plafond. Mais la mauvaise presse que Bob eut sur les problèmes du requin m'ont agacé. Car c'était vraiment injuste.

Vous avez continué à travailler avec Steven Spielberg pour RENCONTRES DU TROISIEME TYPE, cette fois-ci pour Columbia.

J'ai commencé par quelques dessins des extraterrestres. Steven les voulait ressembler presque à des enfants. Plus tard, celui plus effrayant a été rajouté. Quand j'ai reçu le scénario, le film était beaucoup plus petit d'envergure. Steven était en train de faire la promotion des DENTS DE LA MER. Et la production m'envoya en amont, seul une fois de plus, faire des repérages pour trouver une « étrange montagne ». Ce qui était prévu : trouver la montagne en réel, puis faire le reste en studios. Mais tout sur RENCONTRES DU TROISIEME TYPE devint grand au fur et à mesure. J'ai fini par créer une montagne de toute pièce au bout du compte. Mais le plus gros problème venait des rétroprojections. On tournait les films en 65mm, ce qui fait qu'en retroprojection, on ne perdait pas en qualité. Et pour ce faire, j'ai du construire le sommet de la montagne, sur des roues. Puis une route adjacente. Tout s'ajoutait petit à petit. L'autre gros problème qui arrivait était LA GUERRE DES ETOILES. On devait sortir avant le film de George Lucas. mais Trumbull avait de plus en plus de problèmes sur les effets spéciaux. LA GUERRE DES ETOILES sortait en juin, et on a fini par sortir en novembre. On a perdu en impact, je crois. deux films totalement différents. On avait cette idée de grandeur avant LA GUERRE DES ETOILES. Le pire étant que George Lucas est venu sur le plateau et s'est dit « oh mon dieu mais je n'ai rien d'aussi gigantesque! Mes décors sont tout petits! ». Mais globalement, on a fait un bon job. su on était sorti avant, on aurait eu un meilleur impact.

Vous avez ensuite travaillé sur NEW YORK 1997 avec John Carpenter. Après ces années, que pouvez vous nous en dire?

C'était en 1980. Je venais de terminer le tournage des DENTS DE LA MER 2e PARTIE et je voulais poursuivre le métier de réalisateur. Je devais tourner un film nommé FORMULA 1 à travers toute l'Europe, James Brolin en était l'acteur principal; J'ai fait des repérages à Monte Carlo, Magny-Cours, Spa-Francorchamps, Zandvoort… mais le studio fit brutalement faillite. Mon agent m'a alors dit « il faut que tu re-travailles » (rires). Et il m'a indiqué que je devais rencontrer un jeune réalisateur qui venait de faire HALLOWEEN et FOG. J'ai rencontré John, on s'est bien entendu et nous avons donc décidé de travailler ensemble. C'était un vrai changement d'attitude. John et Debra avait une manière très casual de faire des films. J'étais très organisé : faire des repérages, chercher les matières, construire les décors. Ils avaient un merveilleux directeur photo, Dean Cundey, qui était très sérieux. Mais John était tout autre, très relax.. Il a du penser au début que j'étais un peu agressif. Bernardi, le producteur, m'a précisé qu'il fallait un pont et un haut mur, et je partis de suite pour chercher cela. Larry Franco, John et moi partons à New York City et on réalise qu'on ne peut tourner là bas. Trop gros. On revient à L.A et la commission du film de St Louis nous indique qu'il y a justement un pont qui correspondrait à nos attentes. Direction St Louis pour le pont : ça colle. Je devais alors construire le mur de 6 mètres de haut. On va sur un terrain de renouveau urbain qui se mettait en place, donc on pouvait contrôler l'ensemble. Puis ils nous montrent une vieille gare et John a été tout de suite emballé par l'idée. Mais c'est le niveau de John, très »oh oui, ça c'est cool ». Alors je construis le décor pour le pont, et nous devions avoir un avion qui s'écrase et explose. Je vais en Arizona pour acheter des morceaux d'avion et quelqu'un me dit qu'il y a un DC-8 à vendre à st Louis pour 5 000 $. Ce que je fais, je prends les morceaux qui m'intéressent et je ramène le tout à John. Qui me demande quel plan on va faire et je lui explique qu'on va mettre le feu à tout ça. « Oh, Ok, c'est cool » a été sa réaction. Il était vraiment relax à propos de tout ça. Il savait exactement ce qu'il voulait mais il était tellement facile de travailler avec lui! Nous n'avons jamais eu aucun problème l'un avec l'autre.

NEW YORK 1997 n'était pas le plus gros budget pour lequel vous avez tourné.

J'ai construis un grand décor à L.A, qui devait être transporté à New York. On attendait alors le ferry pour amener tout cela. Il faut garder à l'esprit que c'était un petit budget, on devait donc utiliser les transports en commun en place pour gérer le transfert de décors. On reconstruit le décor avec la Statue de la Liberté; Dean Cundey arrange la lumière, on tourne le plan. Et on remballe le tout pour retourner à L.A et faire le plan de coupe. Aujourd'hui, et si vous regardez un film comme BIRDMAN, ils le font constamment mais avec des effets spéciaux numériques. Vous pouvez gérer le passage d'un plan à l'autre en faisant matcher le tout parfaitement. C'est comme si la caméra bougeait constamment, sans coupure. A l'époque, on était obliger de déplacer de montagnes pour gérer la connexion de plans. Ca s'appelle être cheap, mais très fonctionnel. NEW YORK 1997 était un des films des les fun sur lesquels j'ai travaillé. Après des films comme DENTS DE LA MER 2e PARTIE, ça reposait. On l'a fait pour 6 millions de $ et j'ai fait des trucs vraiment sympas. La voiture d'Isaac Hayes avec des chandeliers dedans. j'ai du aller en trouver pas mal car il y aurait beaucoup de cascades qui aller les briser. Très fun. John était vraiment cool. On a encore travaillé ensemble sur STARMAN, où je me suis occupé de poste de consultant visuel. j'ai aussi fait réalisateur de la seconde équipe, sur Monument Valley, entre autres.

Vous avez fait un commentaire audio avec Debra Hill sur le Blu ray. Que retirez-vous de cette expérience?

Je ne l'ai pas réécouté depuis quelques temps. Mais c'était très plaisant à faire, d'autant que je m'entendais très bien avec Debra. Elle était d'ailleurs avec un de mes proches amis à l'époque. Une incroyable femme, très positive, fort caractère. Elle est morte trop jeune.

Que pouvez-vous nous dire sur STARMAN, justement?

Je suis arrivé comme consultant visuel, donc. Le directeur artistique était un gars qui avait travaillé pour moi sur RENCONTRES DU TROISIEME TYPE. Et j'avais quelques idées pour réaliser un film et je ne voulais pas trop m'accaparer sur un tournage aussi compliqué. On en a parlé avec John, avec qui le courant passait bien. J'ai juste fait le design du vaisseau spatial. Mais cela a débouché sur une expérience déplaisante avec ILM. Je voulais un vaisseau qui atterrisse mais pas comme un vaisseau habituel. Tout ce qu'on voyait , c'était le reflet de la Terre sur la surface du vaisseau, en chrome. On ne devait donc rien voir jusqu'à ce qu'il atterrisse et qu'ils se rencontrent. J'ai porté le concept à ILM. Ils étaient intéressés au premier abord, en voyant cette boule de chrome. Mais ils ont réalisé un travail insatisfaisant. Ca ne marchait pas, ils ne prirent pas le temps de faire. Le concept « on ne voit pas le vaisseau spatial donc c'en est un », ils l'ont mis par terre. Mais je pense par contre que le film est réussi. Jeff Bridges est un gars adorable. C'était tellement différent de ce que Carpenter faisait. Le film avait cette qualité très « E.T ». Une expérience plaisante, surtout pour tourner en seconde équipe. On avait un certain contrôle pour tourner aux horaires qui nous convenaient pour bénéficier de la bonne lumière.

Si on parlait un peu de votre travail sur LES DENTS DE LA MER 3D,

Ce n'était pas un travail nouveau pour moi du fait d'avoir tourné les scènes de la seconde équipe sur l'épisode précédent, en plus d'être directeur artistique et producteur associé. Le plus difficile était le producteur, Alan Landsburg. Juste avant, j'étais en train de préparer NINJA avec Zanuck et Brown, qui capota au bout de 9 mois. Je suis alors allé voir Verna Fields, la monteuse des LES DENTS DE LA MER 4) . Puis Wasserman qui trouva l'idée géniale et qui me demanda de le réaliser. Mon gros problème était… Landsburg. Car c'était un producteur qui avait l'habitude de diriger des réalisateurs. C'est juste le travail de la télévision qui est comme ça. C'est le producteur qui contrôle tout. Mais un concept différent au cinéma. Ensuite, je n'avais aucune nouvelle caméra 3D. Nous n'avions que d'anciens modèles. Un équipement affreux. Puis je voulais travailler avec des producteurs comme Debra Hill et Bill Gilmore. Mais Landsburg se sentait plus à l'aise si je travaillais avec quelqu'un que je ne connaissais pas. Et il amena Rupert Hitzig, un homme bien ceci dit.

Et sur le tournage?

J'ai commencé à travailler en disant qu'il fallait construire le requin. Landsburg me dit « quel requin? j'ai plein de plans de requins vivants qui viennent du show « That's Incredible » on va donc les réutiliser ». Je l'ai regardé en disant « quoi?? on ne peut pas faire ça!! ». tu vois, c'était une bataille constante avec lui. bref, on commence à tourner le 3 octobre 1982, mais nous n'avions toujours pas de caméra. Arriflex en faisait une pour nous mais elle n'était pas prête. On a commencé avec une caméra de chez Stereovision qui fonctionnait mal. puis au bout d'une semaine l'autre caméra est arrivée, mais il n'y avait aucune compatibilité avec ce qu'on venait de faire : on a du tout refaire une seconde fois. Ma relation avec mon équipe technique était fantastique. J'adorais l'ensemble des acteurs. Je n'en avais pas conscience lorsqu'on l'a fait mais Lou Gossett Jr : j'en ai fait le président de Sea World. A l'époque, on embauchait pas de noirs comme directeurs de centres aquatiques! On ne faisait pas ça pour l'image, mais juste car ça semblait juste avec Lou Gosset Jr qui était un tellement bon acteur, toujours connaissant ses dialogues. Et j'ai découvert Lea Thompson! Je l'ai revue dans un show il y a deux ans, elle a à peine changé! Dennis Quaid était (rires).. il adorait fumer. Beaucoup. Comme Matthew McConaughey. Il me demandait sans cesse « est-ce que je peux fumer dans cette scène? », jusqu'à mettre l'ensemble de l'équipe dans sa poche pour cela! LES DENTS DE LA MER 3D était difficile à cause de la convergence lorsque nous regardions les rushes. Il était très délicat d'obtenir une convergence convenable. On était catastrophés de manière constante. Lorsqu'Alan était loin de nous, ça allait. J'avais par ailleurs un assistant réalisateur gigantesque, près d'1m95 et je lui demandais de faire barrage et de laisser Alan en dehors du plateau (rires). Cela commença a aller mieux. Nous commencions à travailler dans un environnement technique qui devenait satisfaisant.

Etes vous content du produit fini?

Toutes les personnes qui s'intéressent de près à mon film le savent déjà. J'ai eu mon director's cut qui faisait 2H03. Mais Landsburg et Universal ont décidé d'avoir 5 projections par jour au lieu de 4. Il fallait donc donc couper plus de 20 minutes. Il y a eu donc des coupes de développements de personnages que je voulais. Ce sont des choses, encore une fois, que les critiques n'avaient pas conscience. J'ai été critiqué par exemple sur les scènes de ski nautique, lorsqu'ils tombent dans l'eau. Aberrant. j'aurais aimé que les critiques fassent leur boulot de recherche avant d'écrire. Et franchement, l'équipe de skieurs était fantastique. Lea, qui n'avait jamais skié, est montée sur la pyramide tout en skiant. incroyable. c'était fun lorsque je tournais. Ca l'était moins avec le tournant politique que ça a pris.

Comment avez-vous été impliqué dans le process de montage?

J'avais mon propre montage mais Landsburg s'en fichait car il avait le final cut. Il a juste ignoré mon travail et a fait son propre montage.

Vous avez toujours votre propre montage?

j'ai encore deux boites à la maison (rires)

Les critiques n'ont pas été justes pour LES DENTS DE LA MER 3D

En retrospective, les critiques ont été injustes avec l'ensemble des films DENTS DE LA MER. Le premier a bénéficié d'un certain respect après quelques années. je me souviens que VOL AU DESSUS D'UN NID DE COUCOUS est sorti la même année. Un de mes amis m'a dit « oh, tu as fait LES DENTS DE LA MER, ça n'est rien. VOL AU DESSUS D'UN NID DE COUCOUS, ça c'est vraiment quelque chose. ». Mais ce sont les fans et les collectionneurs qui ont bati aussi cette réputation. Même John Carpenter m'a dit que les critiques avaient été injustes envers mon film.

Quel rapport entretenez-vous avec ces collectionneurs?

Il y a une chose interessante à ce sujet. La personne qui maintient son site web est un fou furieux des DENTS DE LA MER . Il faut bien réaliser qu'à l'époque, il n'y avait pas de DVD, pas de VHS. Il y avait le film et c'était tout. les gens collectionnaient peut-être les photos des stars, les affiches. Tous les croquis, les dessins conceptuels, storyboards… personne ne s'y intéressait. Je ne sais pas pourquoi j'ai gardé tout cela pour le premier. Mais ce ne fut pas avant l'avènement d'Internet que quelque chose se déclencha. J'avais fait tous ces films comme GERONIMO, NEW YORK 1997… et je ne pensais plus trop au cycle des DENTS DE LA MER. J'ai commencé à recevoir des lettres de fans, demandant des dédicaces, des dessins de requins. J'ai alors fait des copies des dessins et je les envoyais. C'est alors que j'ai eu connaissance de l'intérêt des fans.

Et après ce travail avec Carpenter?

Oh, probablement un projet qui n'a pas aboutit (rires). Je pense faire un livre sur tous les projets sur lesquels j'ai travaillé et qui ont avorté. AU-DELA DU REEL par exemple. le film s'est fait avec Ken Russell, mais pas avec Arthur Penn avec lequel j'ai bossé sur la première version. J'adorais ce réalisateur mais ils l'ont viré… Paddy Chaffeysky était partout dans cette histoire. Ce fut après que Columbia se débarrassa du projet et que Warner le récupéra. On a passé des mois sur ce film.

Vous avez aussi travaillé sur un film de SF quelque peu passé à la trappe : FREEJACK.

D'un point de vue esthétique, le film a demandé beaucoup de travail. et je pense qu'on s'en est bien sorti. Mick Jagger était vraiment sympa , très relax. Très pro. Anthony Hopkins était formidable, faisait beaucoup de compliments sur le travail. Mais c'était la maison de production (NB : Morgan Creek) qui était très difficile. J'ai dessiné beaucoup de voitures, notamment pour les scènes de courses…. c'était une très grosse production.

Et selon vous, pourquoi le film n'a pas trouvé son public?

Pourquoi le film n'a pas rencontré de succès…. Pourquoi le film ne marche pas? Tu travailles durement sur ces films, c'est ce que j'ai fait. Grands décors, motos, voitures… je pense que d'un côté le casting ne correspondait pas à l'histoire. René Russo était très séduisante mais le couple avec Emilio Estevez n'était pas crédible, à mon avis. Quelque chose ne marchait pas. Le réalisateur Geoff Murphy était pourtant très pro, mais il y avait tellement de problème avec la maison de production… les meetings étaient très durs avec le réalisateur. ils étaient tout le temps sur son dos. J'ai été surpris d'avoir de mauvaises critiques. Notamment une sur les voitures. Visiblement, le gars n'avait aucune notion de mécanique et de voiture. j'ai fait une rétrospective des voitures des années 30, comme les Bugatti. Et je les ai projetées dans le futur. Je suis un garde amateur de voitures et voitures de courses, j'en ai possédé plusieurs et j'ai fait des courses. et voila qu'un critique se permettait de critiquer l'aspect des voitures… alors qu'il n'y connaissait absolument rien. C'était énervant. D'autre part, Emilio était bon dans le film, je pense juste que ce n'était pas le genre de projet pour lui.

Pourtant, René Russo ne devait pas être en tête de distribution.

En effet, elle vint en deuxième. Ils ont tourné une semaine avec Linda Fiorentino puis ils l'ont viré. je ne sais pas pourquoi, je la trouvais plutôt bonne actrice. Et puis ils ont engagé René Russo. Et, oui, j'oubliais : son mari est venu faire des réécritures du scénario par la suite. Mais cela ne semblait pas fonctionner.

Vous avez travaillé avec deux grandes rock stars : Elvis Presley et Mick Jagger. Quel regard porter-vous sur leurs capacités?

Il n'y a aucune comparaison possible. Elvis Presley était constamment entouré de son équipe. Mick était juste assis, relax, sans aucune attitude particulière. Il connaissait ses dialogues, toujours sur le plateau à l'heure. Comme le concert que j'ai fait avec Pete Townsend des Who. très cool. Mais il y a des gens qui sont tellement imbus d'eux-mêmes… Mick est totalement différent du personnage qu'il est sur scène.

A propos de HAUTE TRAHISON, comment était le travail avec George Pan Cosmatos? J'ai entendu sur le Blu Ray de LÉVIATHAN qu'il était une personne très difficile en tournage.

George Pan Cosmatos était l'une des pires personnes avec lesquelles j'ai jamais travaillé. Mon ami Bill Kenny avait déjà bossé avec lui auparavant mais il a démissionné. Il avait plus ou moins la même équipe que moi. Ils m'ont appelé et supplié de sauver le projet et de rencontrer Cosmatos. Je le rencontre, on a un déjeuner : c'était un homme extrêmement sympathique. Après deux semaines de travail sur le plateau, j'ai été voir le producteur en lui disant que je partais. Ce Cosmatos est un trou du cul total.Il me convainc de rester et je retourne sur le plateau le lendemain. Cosmatos arrive et se met à hurler à l ‘équipe « mais c'est pas possible! Je ne sais pas comment tourner dans ces conditions! ». on avait construit le sommet de la Maison Blanche, et il fallait organiser les déplacements des acteurs. Je lui indique comment faire et il me hurle dessus « ne me dis comment mettre en scène! » et je lui réponds « tu dis que tu ne sais comment tourner, je ne fais que te donner des indications ! ». Et il devenait totalement fou sur le tournage. Pourtant, à la fin de journée, il revint vers moi en me disant à quel point la journée avait été fantastique. Je lui demandé alors pourquoi il n'allait pas hurler ça directement à l'équipe après qu'il leur ait aboyé dessus ce matin en indiquant que leur travail était horrible. Il ne l'a pas fait. Une autre anecdote à propos d'un morceau de décor qui était mauve. IL vient vers mois et me dit « mauve? mais comment tu peux me faire ça? Ma femme est en train de mourir : tu ne sais pas que le lave est la couleur de la mort? ». (soupir). Voilà ce que c'était de travailler avec lui. Le tournage s'est terminé et je suis allé le voir en lui demandant « Ne m'appelle plus jamais. Tu me comprends? plus jamais ». Je n'ai plus jamais eu envie d'avoir à faire avec lui. Affreux. Il est mort mais c'était un homme affreux. Encore un exemple : Charlie Sheen, qui venait d'être dans la presse à propos de cette histoire de prostituée, devait justement tourner un scène avec une prostituée. Il est allé voir George en lui demandant de ne pas la faire, que c'était de très mauvais gout après ce qui se passait dans la presse. Il a été obligé de la tourner.

je pense que le film néanmoins s'en sort pas trop mal. Avec le final, notamment.

Je ne sais pas. Ca n'est pas parmi mes films préférés; C'était juste un travail. Vous savez, il y a trois personnes sur cette Terre que je déteste. Alan Lansburg, George Cosmatos et William Friedkin. Ce dernier étant probablement le pire. Mauvais caractère, désagréable, coléreux misogyne, raciste à un point inimaginable. J'ai commencé avec lui le tournage de JADE et j'ai démissionné après près d'un mois de travail. Horrible. Nous étions à Chinatown et il n'arrêtait pas de singer les personnes asiatiques autour de nous. Un homme répugnant.

Je viens de voir MENACE TOXIQUE, spécialement avant notre rencontre. Je ne l'avais jamais vu et, bon…

Steven Seagal (soupir) Quel idiot. Il venait sur le plateau avec ses vestes colorées. Il les portait pendant le tournage et pensait que son personnage voulait se fondre dans la masse des paysans du Kentucky. Que personne ne remarquerait qu'il était un agent fédéral. Mon dieu. Il parait son temps à jouer de la guitare et m'a même demandé de re-designer sa maison (soupir). Le scénario était idiot. mais on a fait du bon travail sur les décors.

Je suis assez d'accord. l'Eglise, notamment, et les scènes d'explosions.

Absolument. Je suis allé en repérages pour justement trouver des endroits compatibles avec la notion d'étendue. D'où l'église que nous avons construite spécialement pour l'occasion au sommet d'une colline. Pareil avec la maison de Marg Helgenberger. Superbe. Et en effet les scènes de la mine. Tout l'argent est sur l'écran et il n'y a pas d'effets numériques. Je devais justement trouver un endroit pour tourner la mine et j'ai trouvé cet endroit avec la mine à découvert ( NB : la scène du générique de début). Vraiment très beau. Même si Steven Seagal ne sait pas jouer, le travail sur le film était très satisfaisant.

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Dossier réalisé par
Francis Barbier
Remerciements
Joe Alves, Romain Christmann, Justine Girardi, Jerri Lauridsen et au personnel de la Scala