18. Interview Xavier Gens

Au tout début de l'après-midi du samedi 24 novembre, le jury du festival était réuni au même endroit de manière à répondre aux questions de la presse, sorte de speed dating journalistique. Lorsque nous arrivons, les enchaînements d'interviews, chacun son tour, n'ont pas encore débuté et nous sommes surpris de découvrir Xavier Gens en pleine conversation avec la toujours très belle Rosanna Arquette. D'ailleurs, le réalisateur français nous proposera à plusieurs reprises de faire l'intermédiaire avec l'actrice et organiser une interview sur le pouce. Néanmoins, pour des raisons de timing, nous devions interviewer Pascal Laugier avec Louis Thevenon dans la foulée, et de préparation, nous avons été malheureusement obligés de décliner l'offre. Quoi qu'il en soit, la présence de la comédienne nous a permis, entre autres, d'évoquer son actualité avec le très affable et passionné Xavier Gens !

DeVilDead : J'ai été assez surpris par votre segment dans THE ABCs OF DEATH car c'est l'un des rares qui porte un vrai message, allie le fond et la forme, dans cette anthologie. Je me suis donc demandé comment vous est venue l'idée de faire quelque chose sur l'anti-conformisme.

Xavier Gens : Alors, j'étais dans le métro et, à chaque station, je voyais ces nanas sur les affiches en bikinis et légèrement vêtues. Et puis je voyais ce que font les taggueurs anti-publicité. Ils avaient taggué toute une station. Je suis dit "Tiens, ce serait intéressant de faire quelque chose là dessus". A propos de la perception de quelqu'un qui a des problèmes physiques, de quelle manière elle perçoit ces choses là. Comment elle réagit par rapport au regard des autres. J'ai donc voulu traiter ça sous une overdose de publicité ce qui la mène à faire un acte terrible, de manière à ressembler à tous ces gens là. C'est très métaphorique et j'ai l'impression que ça a parlé à pas mal de monde.

C'est la publicité mais aussi le cinéma qui renvoient une image très glamour. Quelque part, vous faites partie de ceux qui ont une responsabilité là dedans…

Justement, j'essaie de critiquer ça au travers de ce court-métrage. D'ailleurs, le format court permettait vraiment de pouvoir l'exprimer.

Il y a un vrai souci du détail, je ne sais pas si tout le monde y fait attention mais sur l'affiche qu'on voie dans le métro, on voie une nana super mince, très jolie, en bikini. Et il est écrit "Existe aussi en XXL". C'est assez horrible alors qu'on ne se rend habituellement pas compte de cela !

C'est tout le propos du film. Qu'est ce que c'est que le XXL. La nana regarde l'affiche, elle se regarde elle et elle se fait humilier par le mec à côté d'elle dans le métro. C'est vraiment une vision de la réalité, de la manière dont on formate le physique. J'en profite pour rendre hommage à ma belle sœur. Car c'est ma belle sœur qui est sur l'affiche. C'est elle, aussi, qui a fait la musique et elle apparaît aussi à la fin du film.

Après FRONTIERE(S) et THE DIVIDE, vous continuez à nous montrer une vision très noire de l'humanité avec votre segment de THE ABCs OF DEATH.

Ben… Je pense qu'on ne vit pas dans le monde des Bisounours. Et puis il faut noircir un peu le trait de manière à ce que le message puisse passer. Mais cela reste du divertissement, il ne faut pas se voiler la face. Il y une sorte de… Je ne dirais pas de cynisme mais d'ironie derrière tout ça. Quand je traite FRONTIERE(S), je le fais comme une série B mais j'essaie d'y mettre une certaine ironie de manière à exposer ce que l'on a vécu en 2002 et ce que l'on est en train de revivre aujourd'hui. Ce qui est terrible car on sent qu'il y a une montée de l'extrême droite. Alors je l'ai traité avec quelque chose de plus extrême mais qui supporte cette thématique. Sur THE DIVIDE, c'était plus à un niveau intime. De manière à comprendre comment un être humain bascule dans quelque chose qui n'a plus de limite, plus d'humanité. C'est un film sur la déshumanisation et cette façon de le traiter, c'est un peu comme le faisait Pasolini avec SALO, mais au sein d'un film américain. Le challenge, c'était donc de garder la forme d'un film américain et d'y insérer des thématiques à la Pasolini.

C'est assez étrange d'entendre parler de Pasolini lorsque l'on aborde le cinéma de genre. Ce n'est pas forcément très lié…

Oui mais, quelque par, ça l'est. On est dans les thématiques qu'il explore dans ses films. C'est assez proche de ce que l'on trouve dans le cinéma de genre mais on ne retrouve pas la même puissance iconique de ce qu'il a pu faire. D'ailleurs, sur THE DIVIDE, j'ai demandé à tous mes acteurs de voir SALO, la plupart ne l'avait même pas vu.

Vous évoquez le cynisme mais, par exemple, là, vous faites partie du jury sur le festival et on voie énormément de violence mais je n'ai pas l'impression que ce soit toujours justifié. On peut dès lors se demander où est la part de cynisme dans certains films.

Franchement, ça dépend de l'honnêteté du cinéaste. Par exemple, quand tu regardes STITCHES qui est un film d'un cynisme absolu, quelle est l'ambition réelle du film à l'exception d'être vu dans le monde et d'être distribué partout ? Il y a seulement une ambition commerciale et c'est ça qui est cynique. Quand on voit la destination du film… Un autre exemple, le film d'hier, MODUS ANOMALI, je trouve qu'il y a beaucoup de cynisme dans ce film. Cela n'assume absolument pas ce que cela devrait être et, pour moi, un film indonésien tourné en anglais, ça sent le film formaté pour l'export. Un film que j'ai trouvé très honnête, c'est THE CLEANER d'Adrian Saba. J'ai trouvé ça incroyable parce qu'il y a un vrai engagement cinématographique et une vraie honnêteté. Je pense qu'il y a du cynisme quand il n'y a pas d'honnêteté. Tiens, le film de Don Coscarelli, JOHN DIES AT THE END, on pourrait le taxer de cynique mais non ! Le film est fait avec le cœur. Il y a une vraie démarche créative qui est dénuée de cynisme par ce qu'il fait une vraie comédie d'horreur où il se lâche complètement et c'est un vrai plaisir de regarder des films comme ça. Moi, je sais que sur mes films, sauf HITMAN, j'ai essayé de les faire à chaque fois avec un maximum d'honnêteté. Je pense qu'il y a beaucoup de choses qui ont été critiquées sur ces films là. Mais, à côté de ça, ceux qui les ont bien reçu, les ont accepté pour ce qu'ils sont et ce que j'ai essayé d'y mettre. Après, forcément, ce n'est pas du goût de tout le monde. Parce que des fois, on a du mal à accepter certaines vérités. Moi, je vois, surtout sur THE DIVIDE avec le public américain, certains ont rejeté complètement le film car cela montrait des choses qu'ils ne voulaient pas voir. Ils critiquent le film pour les scènes avec Rosanna Arquette

Cela va, en effet, assez loin…

Oui mais c'est tout le propos du film.

Justement, c'est là toute la question. Est-ce qu'on fait de la violence pour dire quelque chose ou bien gratuitement.

Pour moi la violence… Prenons l'exemple sur la scène qui a été très critiquée lorsque Rosanna Arquette se fait violer. Cette scène, si elle est là, c'est pour montrer le sacrifice pour la survie. Pendant le tournage, on en discutait et on s'est inspiré de certaines femmes qui se sont maquées avec des officiers allemands durant la Seconde Guerre Mondiale pour se sauver et être à l'abri. Quelque part, c'est un sacrifice corporel et psychologique qui dépasse des limites, où vous vous abandonnez complètement. C'est pour ça que dans la scène de THE DIVIDE, il y a un point hyper important que beaucoup n'ont pas vu, c'est le plan sur le crucifix. Cela donne tout le sous-texte de cette scène où elle se raccroche à Dieu pour sortir de la situation où elle est parce qu'elle n'assume pas ce qu'elle est en train de faire. Je pense que c'est là l'important. Certains voient juste une femme qui crie et qui se fait violer. Alors que c'est une femme qui se sacrifie. C'est une scène qui parle de sacrifice personnel. Malheureusement, tout le monde n'arrive pas à lire ce sous-texte.

C'est intéressant d'avoir évoqué THE CLEANER car c'est l'un des rares films présentés cette année au PIFFF qui ne se repose pas directement sur la violence. Du coup, puisque vous êtes membre du jury, cela m'amène à vous demander ce que vous pensez de tout ce que l'on a pu voir…

Je pense qu'il y a un vrai éclectisme dans ce que l'on a pu voir. Et puis s'il n'y avait pas ce festival, on ne pourrait pas voir un film péruvien comme celui-ci (THE CLEANER). On ne pourrait pas voir un film indonésien. On ne pourrait pas voir DOOMSDAY BOOK. On ne pourrait pas voir THE BUTTERFLY ROOM. Il y a pleins de films qui sont faits, de plus en plus, et je trouve qu'un festival comme ça nous permet de voir l'essentiel de la création mondiale. Et je trouve que le travail qui a été fait par Cyril (Despontin) et Fausto (Fasulo) est réussi car les films sont vraiment supers. Alors, je n'ai pas tout aimé mais cela m'a permis de découvrir des films que je n'aurais peut être pas vu autrement. J'avoue que je n'aurais jamais acheté le DVD de THE CLEANER si je l'avais vu dans les bacs. Je n'aurais jamais acheté celui de IN THEIR SKIN. Et c'est des films qu'on ne verra probablement pas dans les salles. Dans DOOMSDAY BOOK, il y a un segment de Kim Ji Woon qui est assez brillant. Et je n'aurais jamais pu voir ça autrement que dans ce festival. Je trouve ça hyper important pour la création mais aussi pour l'inspiration d'avoir des propositions cinématographiques comme ça.

Mais revenons à THE ABCs OF DEATH… Quel est le segment que tu aurais aimé réaliser et celui que tu n'aurais jamais voulu faire ?

Si j'avais du en réaliser un, je dirais la lettre "D" fait par Marcel Sarmiento que j'ai trouvé superbe. Et celui que je n'aurais pas voulu réaliser, c'est le Ti West. A un moment donné, il faut être honnête. Tu acceptes de participer au film, tu le fais. J'ai trouvé ça moyen…

Car vous étiez sur le même pied d'égalité. On vous a donné le même budget…

Oui, oui.

Le même temps ?

A vrai dire, on nous a dit "Tu as 5000 dollars, démmerdes toi !". Après, il y a ceux qui ont joué le jeu, qui ont essayé de faire un vrai court-métrage en y mettant leurs tripes et leur énergie. Et puis il y a eu ceux qui, je pense, n'ont pas voulu faire l'effort, qui n'avait d'idée ou de concept, et qui ont fait ça… Mais, moi, je trouvais ça intéressant d'essayer de faire le meilleur et de profiter du petit écrin que l'on pouvait avoir. Si tout le monde mettait de la bonne volonté, cela aurait donné un super film. Mais, là, ça se voie clairement qu'ils n'ont pas mis de bonne volonté. Si on avait tous fait le même effort, le film aurait été encore bien meilleur.

En partant avec la même somme d'argent, quelque part, cela montre le talent des uns et des autres à se plier à des contraintes. Quelque part, ce film vous met un peu en compétition et certains n'en sortent pas grandi.

Je n'ai pas vu ça comme une compétition. Je voyais vraiment ça comme un esprit de camaraderie.

Camaraderie avec des personnes qui ne jouent pas du tout le jeu…

Ouais... Ouais… Quelque part, ils ne se rendent pas compte que ça fait du bien au genre un film comme ça. Cela montre que d'une manière mondiale, il y a une envie de faire du cinéma. Mais au final, on voie que chez certains, l'envie, elle n'est pas là. Je ne parle pas que de l'envie de faire de l'horreur… Je parle de l'envie de faire du cinéma.

Oui, évidemment, d'ailleurs, vous avez évoqué le court de Marcel Sarmiento et celui-ci n'est pas vraiment lié à l'horreur alors qu'il est d'une facture exceptionnelle. Mais en repensant à THE ABCs OF DEATH, on s'aperçoit qu'il y a un énorme contraste de qualité en terme d'images, de mise en forme ou même d'écriture, on peut être amené à se demander si certains n'ont pas mis la main à la poche de manière à repousser la contrainte budgétaire…

Moi, j'ai rajouté à peu près… Trois ou quatre mille euros pour que ce soit bien. Ensuite, j'ai demandé de l'aide à toute mon équipe, la boîte pour laquelle je fais de la pub m'a aidé pour la post-production… Sans eux, je n'aurais rien fait.

Et Ti West s'est acheté un home cinema ?

Non, je pense qu'il a du faire ça en restant dans le budget alloué, sans aller plus loin. A vrai dire, au départ, je me suis posé la question de savoir si pour 5000 dollars, j'allais accepter. Ca fait dans les 3000 euros. Je me suis demandé comment j'allais faire pour tourner un court-métrage pour 3000 euros. Tu te demandes comment tu vas faire pour payer l'équipe et tout ça… Donc, tu réfléchis à deux fois avant d'accepter ça. Mais à partir du moment où tu acceptes, tu le fais à fond !

Qu'est ce que vous prévoyez maintenant ?

Alors, là, je suis en train de travailler sur un film que je devrais faire chez Gaumont qui est inspiré d'une histoire vraie. Cela parle de voleurs de tableaux qui les ont vendu à des yakuzas et tout ce petit monde a finit par régler ses comptes entre eux. Ensuite, je suis en train d'écrire un script qui s'inspire d'une histoire que j'ai vécu cet été. Ma mère m'a donné un rein et je voulais absolument faire un film sur les relations que l'on a pu avoir au moment du don. Ce sera donc plutôt un drame mais il y aura tout de même une petite touche fantastique car plus le personnage se sent mal et plus elle voie une sorte de créature à la Miyazaki à côté d'elle et qui grossit.

Quand je suis arrivé, j'ai été surpris de voir que vous étiez avec Rosanna Arquette. Vous préparez quelque chose ensemble ?

Non, pas spécialement. Elle me parlait d'un truc qu'elle va faire et qui serait une sorte d'EXPENDABLES au féminin avec pas mal de stars des 80s. Cela parle de l'industrie hollywoodienne et de quelle manière les comédiennes de plus de cinquante ans évoluent dans ce milieu aujourd'hui. C'est un projet qui a l'air super intéressant.

C'est d'autant plus intéressant que si on regarde le cinéma, depuis pas mal de temps, les héroïnes sont de jeunes femmes, limite adolescentes. Alors que si on remonte dans les années 50 ou 60, et donc avant, les héroïnes étaient de vraies femmes. Comment expliquer ça ?

C'est le phénomène TWILIGHT. C'est tout. Regardes où on en est au bout de cinq ans. Et puis il y a THE HOST qui arrive… Il faut arrêter. Alors que je pense que Kristen Stewart est plutôt une bonne actrice mais que les films qu'elle fait ne lui permettent pas de le montrer. C'est terrible à dire. Je pense qu'elle mériterait de faire des films indépendants. Elle a un vrai potentiel, quelque chose de magnétique et je trouve vraiment la manière dont elle se fait exploiter dans cette branche là.

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Dossier réalisé par
Emmanuel Denis, Xavier Desbarats, Christophe Lemonnier & Salomé Costa
Remerciements
Xavier Gens, Blanche Aurore Duault, Nathalie Iund, Roxane de Quirini, Cyril Despontin ainsi qu'aux organisateurs et à tous les bénévoles du festival