17. Interview Adrian Saba

Plutôt surprenant, Adrian Saba est encore dans la vingtaine et il signe un premier film d'une maturité assez incroyable. Au point que le jury du festival lui a évidemment décerné une mention spéciale à EL LIMPIADOR, THE CLEANER à l'international, lors de la remise des prix de cette édition 2012 du PIFFF. Nous ne le savions pas encore au moment où il nous a été possible de nous entretenir avec le très jeune cinéaste, juste après la projection du film, dans l'après du samedi 17 novembre. Toutefois, nous préférons vous prévenir que deux questions sont en rouge car elle dévoile une partie de l'épilogue du film.

DeVilDead : Etant donné qu'on ne vous connaît pas, vous pouvez vous présenter ?

Adrian Saba : Je suis Adrian Saba, je viens du Pérou et je suis le réalisateur de EL LIMPIADOR. J'ai grandi au Pérou et j'ai étudié pendant quatre ans à New York dans le domaine du cinéma. Ensuite, je suis rentré au Pérou en 2010 avec la volonté d'y faire mon premier film. C'est quelque chose qui me semblait assez logique en raison de mon identité.

Vous ne vous êtes occupé que de la création de EL LIMPIADOR depuis 2010 ?

Il y avait une autre idée mais cela demandait beaucoup plus d'argent et cela aurait pris énormément de temps. Il fallait que je fasse quelque chose, sans quoi je serais devenu fou à rester sans rien faire. J'ai donc regardé sur mon ordinateur les autres idées que j'avais pu noter et EL LIMPIADOR paraissait plus approprié. Car c'était un film plus petit et demandant des moyens moins importants. Je suis donc parti dans l'idée que j'allais réunir l'argent et que j'allais le faire sans m'arrêter. On a commencé à tourner en octobre 2011. Ca a été finalement assez vite.

EL LIMPIADORétait donc un moyen de patienter. Vous pouvez nous en dire plus sur votre prochain film ? Si vous le voulez, évidemment…

Non, car pour l'instant, il n'y a rien de clair. Je n'ai pas encore réellement de nouveau projet.

Dans EL LIMPIADOR, les deux personnages principaux ont des problèmes de communication. Je me suis demandé si, pour vous, c'était une façon de nous dire qu'il y avait des problèmes de communication dans notre société ou bien si c'était seulement pour exprimer la solitude de ces deux personnages ?

Je pense qu'il y a des éléments touchant à ces deux aspects. Reste que les deux personnages sont, comme vous l'avez remarqué, très timides au départ. D'ailleurs quand j'ai commencé à écrire le scénario, j'ai rapidement compris la chose et je me suis demandé ce que j'étais en train de faire. Mais c'était ce qu'il y avait de plus naturel pour moi et pour les personnages du film. Et cela devient intéressant lorsque les moments de communication ne sont pas nécessairement exprimés par les mots mais aussi par la gestuelle.

On peut aussi prendre la boîte en carton selon deux aspects. Comme un moyen de protection face à la maladie… Mais cela paraît plus logique que cela exprime la fragilité de l'enfant qui a finalement peur de tout, le monde qui l'entoure et les gens, ce qui le mène aussi à s'enfermer dans un placard…

Oui, c'est un moyen de protection. L'enfant a vraiment l'impression que la mort va lui tomber dessus. Il est réellement terrifié. Et puis on sait que la maladie ne touche pas les enfants donc d'un point de vue psychologique, cette boîte le protège. Il évolue quand même dans un monde terrifiant où tout le monde meurt autour de lui. L'idée de la mort est quelque chose de vraiment mystérieux pour nous, alors imaginez pour un enfant ! Aussi, grâce à cette boite, il se sent davantage protégé face au monde qui l'entoure. Mais ça aurait pu être autre chose comme une couverture, ou même des lunettes de soleil qui serait pour lui comme un casque.

Cela n'aurait pas fonctionné de la même façon avec des lunettes. Il y a un côté très poétique à voir un enfant avec une tête en carton, carrée, très éloignée de ce qu'il est réellement.

Oui, je suis d'accord, ça rend mieux.

A propos de la mort, il y a un moment qui est vraiment amusant et, en même temps, extrêmement noir. Car on a un enfant, candide et forcément innocent, qui se pose la question de l'endroit où l'on va une fois que l'on meurt. Et la réponse de l'adulte est très nette puisqu'il lui dit qu'on ne va nulle part…

Oui, c'est vrai… Peut être que je pense différemment du personnage principal. Mais lorsque vous écrivez, vous devez être honnête avec le personnage principal, le décrire et lui faire dire ce qu'il est. Etant donné qu'il n'a jamais eu l'occasion de s'occuper d'une personne, et encore moins d'un enfant, il n'arrondit pas les angles, il dit clairement ce qu'il croit exact.

Justement, le personnage principal a une vie déprimante, très mécanique, routinière, chaque jour est le même ou presque. Son travail lui demande de s'occuper des morts, rien de très joyeux et il le fait sans exprimer de sentiment. On le voit même continuer à manger quand quelqu'un meurt à côté de lui. C'est assez difficile de se sentir proche et donc de s'identifier à ce type de personnage. Est ce que vous n'avez pas eu peur de rebuter les spectateurs au premier contact ?

Oui, bien sûr, c'est un personnage qui peut sembler peu attachant. Mais d'une manière assez subtile, il développe des sentiments. Il commence à s'attacher à l'enfant et c'est de cela que naît l'espoir du film. Il y a aussi des touches d'humour qui fonctionnent justement sur son détachement, de même des situations qui expriment son envie de bien faire et ce bien qu'il soit maladroit. Je pense notamment au passage où il lit le manuel technique.

C'est vraiment un très bon passage.

Oui, merci. Merci. J'aime beaucoup ce moment.

C'est un personnage qui semble vivre sans se poser de question concernant sa vie et ce qu'il fait…

Oui, il n'y pense pas vraiment. Il le fait. Il est un peu comme un fantôme. Il ne laissera pas d'empreinte, pas de message important… Il va changer au contact de l'enfant.

Mais alors est ce que l'enfant devient un sens à sa vie ?

(Rires) Je ne sais pas. L'enfant le mène à s'intéresser à des choses plus spirituelles, par exemple en l'emmenant à l'église.

Mais ça ne l'intéresse pas réellement. En fait, le personnage principal ne s'intéresse pas à grand chose à part peut être un peu la télévision.

Et encore, il ne s'y intéresse pas vraiment, il change de chaîne. Il ne s'arrête pas vraiment sur une émission en particulier et il n'a probablement pas d'émission favorite.

Il s'arrête plus longuement sur le tennis.

C'est vrai, il regarde le tennis.

Le tennis est très passionnant. (Rires)

(Rires)

Mais ce qui me semble le plus sombre dans le film, c'est qu'au moment où le personnage va commencer à s'humaniser, il arrive quelque chose que l'on sent venir assez vite dans le film. A savoir qu'à partir du moment où il commence à vivre, il meurt.

Oui, c'est vrai que cela peut sembler sombre. Mais je pense que le plus important, c'est qu'au moment où il meurt, il sait que l'enfant va être pris en charge. De plus, pendant une soixantaine d'année, il a vécu mécaniquement et puis soudainement il a entre ses mains la responsabilité d'une autre vie. Et à partir de ce moment, il doit s'assurer que l'enfant ira bien et que quelqu'un s'occupera de lui. A partir du moment où sa tâche est accomplie, il peut partir en paix. Cela soulève évidemment des questions sur le pourquoi nous sommes là et ce que l'on doit faire dans la vie. Parce qu'effectivement, la vie et la mort sont des concepts très différents pour chacun de nous. Mais je ne sais pas si le fait qu'il va mourir à la fin est si évident que ça...

J'avoue qu'à partir du moment où il prend en charge l'enfant, il m'apparaît certain que cela allait finir ainsi. Ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose, le film fonctionne très bien ainsi et ça n'a pas d'impact sur le plaisir qu'on a à suivre l'histoire. Mais s'il avait survécu, cela aurait été curieux.

Oui, peut être, je ne sais pas. Je pense que vous avez peut-être du voir beaucoup plus de films que moi !

A propos d'autres films, la figure d'un père de substitution se retrouvant contre son gré avec un jeune enfant est assez classique au même titre que l'épilogue…

Oui, c'est assez classique. Quand je faisais le montage du film, je lisais La Route et on se retrouve aussi dans ce type de schéma. Donc, oui, c'est une histoire au développement assez classique.

Contrairement à d'autres films, on peut envisager que les événements de EL LIMPIADOR ne mèneront pas à la fin de l'humanité puisque la maladie ne touche que les hommes d'un certain âge.

Oui, je pense qu'après la fin du film, tout rentre dans l'ordre. C'est un peu l'ordre des choses, la balance entre la vie et la mort. C'est intéressant de penser à notre place dans l'univers. Au fait qu'il y a déjà eu des pandémies qui ont éliminé des populations entières, le tout par un simple organisme microscopique qui n'a même pas de cerveau et n'est pas doué de pensée. Mais après le film, je pense que tout rentre dans l'ordre.

Evoquer notre place dans l'univers, ça me fait penser que vous m'avez dit que vous ne partagez pas nécessairement le point de vue du personnage principal à propos de la mort. Donc, la question piège, c'est justement de vous demander votre opinion à propos de la mort ?

(Rires)

Oui, je sais, c'est une question difficile ! (Rires)

Effectivement, c'est une question piège… D'accord mais vous allez devoir me répondre ce que vous pensez après alors !

Je pense qu'on va droit au cimetière.

Oh, ok, donc, on meurt… on meurt !

Malheureusement.

Je crois aussi que lorsqu'on meurt, on meurt. Je ne crois pas au paradis ou à l'enfer. Je pense également que l'énergie est la seule matière qui ne peut être détruite et qu'elle était déjà présente dès le début de l'univers. Donc lorsque je vais mourir, j'arrêterai de penser. Mais avant que je naisse, j'étais de l'énergie et lorsque je serai mort, je redeviendrai de l'énergie…

Un nouveau commencement ?

Je ne sais pas si on peut parler de nouveau départ dans le sens où il n'y a pas nécessairement un début et une fin.

Je vais être honnête, on connaît assez mal, en France, le cinéma péruvien. Vous pouvez nous en dire plus sur l'acteur principal, Victor Prada ?

C'est un acteur professionnel qui travaille beaucoup au théâtre et à la télévision. Je savais dès le départ, au moment de l'écriture, que je voulais Victor Prada. Et j'ai été assez chanceux. On m'avait dit que c'était un homme gentil et qui était vraiment passionné par son travail. De plus, il n'y a pas tant de film que cela au Pérou. C'est donc toujours une opportunité pour un comédien de travailler dans le cadre d'un projet cinéma. Il faut aussi préciser que je le connaissais déjà auparavant, que je l'avais déjà croisé au théâtre puisque j'ai également travaillé dans ce milieu en tant qu'assistant réalisateur par exemple. J'avais déjà eu l'occasion de lui parler du fait que je voulais faire un film. Et puis c'est aussi une question de feeling, vous savez…

Beaucoup de cinéastes évoquent le fait qu'il est difficile de travailler avec des enfants. Vous n'aviez pas peur justement de cela pour un premier film ?

Non car l'enfant qui joue dans le film était vraiment heureux de le faire. Et puis je pense que travailler avec des enfants est intéressant. Ce sont à mon sens les meilleurs acteurs. Ils sont encore frais, ils ont gardé une véritable imagination et sont très sensibles. Du coup, si vous expliquez exactement ce que vous voulez faire dans le film, ils vont se donner à 100%. Et puis ses parents étaient très présents car il était jeune. Ca se voit quand un enfant se sent bien, et est heureux de faire les choses. Ses parents ne lui mettaient pas la pression. Vous savez qu'il y en a tellement qui poussent leurs enfants à devenir des stars… Mais là, c'était très différent et ses parents partaient du principe que si leur enfant voulait travaillait, il le ferait. S'il ne voulait pas, il ne le ferait pas !

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Dossier réalisé par
Emmanuel Denis, Xavier Desbarats, Christophe Lemonnier & Salomé Costa
Remerciements
Adrian Saba, Blanche Aurore Duault, Nathalie Iund, Roxane de Quirini, Cyril Despontin ainsi qu'aux organisateurs et à tous les bénévoles du festival