Interview Aldo Lado (05-02-2007)

3. Partie 2

J’ai l’impression que certains de vos films en ont influencé d’autres. Comme ici pour L'ALLIANCE INVISIBLE, avec cette histoire de secte aux tendances satanistes, un mélange de thriller et d’esotérisme. Puis LE LOCATAIRE de Polanski. Qu’en pensez-vous ?

Je n’ai jamais pensé cela, même si ces films ont été faits après les miens.

C’est mon délire de cinéphile ?

(rires). Je laisse cela aux cinéphiles ! Il est très possible qu’un producteur ait dit que puisque mon film avait très bien marché, il fallait en faire un autre dans le même genre. Les producteurs italiens suivent les modes. Si cela marche, alors il faut faire la même chose. Ce fut le cas de mon SEPOLTA VIVA, une espèce de feuilleton débile d'un kistch pas possible. Enorme succès, près de trois millions de spectateurs en Italie. Comme j’avais installé un système de double lecture du film, alors les plus vieux spectateurs pleuraient. Les plus jeunes riaient. 27 films ont été fait d’après ce même modèle. Les producteurs cherchaient un bon filon à exploiter. La seule chose que je sais, c’est que lors de la conférence de presse à Venise de Quentin Tarantino il y a deux ans, il a dit que L’ULTIMO TRENO DELLA NOTTE l’avait influencé dans la violence. Mais il dit cela de beaucoup de monde.

C’est aussi le cas de votre film suivant qui arrive en pleine mode du Giallo, CHI L’HA VISTA MORIRE ? Vous réutilisez les codes existants : la main gantée de cuir noir, la caméra subjective, la révélation du coupable au final, etc… tout en gardant un aspect personnel, votre identité de la dualité de lecture initiée avec LA CORTA NOTTE DELLE BAMBOLE DI VETRO

Absolument.

Vous êtes assez cruel, tout de même. Si au début de cette vague, les victimes sont des femmes, il s’agit ici pour la première fois d’enfants. Ce que copia un peu Lucio Fulci avec LA LONGUE NUIT DE L'EXORCISME. Même pour les choix visuels. La première scène se passe dans un environnement neigeux. Mon sentiment est que vous vous êtes approprié un genre pour mieux le tordre.

Votre analyse est correcte. J’ai toujours considéré que j’étais plutôt un artisan qu’un artiste. Qui effectue des pièces uniques même s’il y avait une demande pour ce type de film. Mon producteur m’a presque obligé à le faire. J’ai fait cependant le film comme je voulais le faire. A l’intérieur d’un genre, j’ai toujours joui d’une grande liberté. J’avais des problèmes comme avec la neige. Selon le directeur de production, ça coûtait trop cher. Alors j’ai trouvé un ami qui connaissait quelqu’un à Megève qui pouvait nous aider sans que cela coûte d’argent à la production. Car nous avions des budgets misérables et il fallait se débrouiller. Si on calcule avec les coûts actuels, ce type de films revenait à 600 ou 700.000 euros d'aujourd'hui.

Si peu que cela ?

Oui !

Mais cela parait pourtant être des films aisés.

C’est le savoir-faire qui prime dans ces cas-là. Mon expérience d’assistant m’a beaucoup apporté. Je savais ce que je voulais. Je ne me perdais pas dans des détails. C’est ce côté artisanal afin de trouver des solutions à tout. Pour en revenir à LA CORTA NOTTE DELLE BAMBOLE DI VETRO... Le producteur avait des accords avec une société d’état yougoslave. Pour une scène où le héros a un rendez-vous sur une place un peu londonienne avec du brouillard, lors des repérages, j’arrive sur la place et elle était d’une grande banalité. Mais il y avait un passage de train non loin… J’appelle le directeur de production. Je lui dit que s’il réussit à faire passer la locomotive au bon moment, je réalise la scène du meurtre avec la fumée. On me répond « Impossible : nous avions un accord sur le scénario. cela coûtera de l’argent en plus ». Alors, le lendemain, j’ai choisi la plus grande place de Zagreb et j’ai demandé des machines à brouillard partout. On m’a finalement donné la locomotive !

Bien vu. Mais j’en reviens au coût. Vous aviez engagé George Lazenby.

Oui, mais il ne coûtait rien du tout à cause du James Bond. Il s’est fait avoir par Albert Broccoli et était plutôt fâché. Il n’avait qu’une idée à l’époque : retourner en Australie et s’acheter un bateau. Il a donc accepté un petit budget italien. Mais c’était le lot des auteurs et acteurs. Nous étions à la merci de certains producteurs qui ne nous payaient parfois pas. Jean Sorel, que je revois à Paris de temps en temps, m’a avoué ne pas s’être fait payé sur LA CORTA NOTTE DELLE BAMBOLE DI VETRO… ! Comme pour moi. Vous savez, je n’ai aucun droit d’auteur sur mes films. Ce qui est difficile aujourd’hui pour moi.

Je souhaite appuyer sur un point qui m’est cher. Vous avez tourné avec Anita Strindberg que j’apprécie énormément. Belle et talentueuse je trouve qu’elle n’a pas eu la carrière qu’elle méritait.

Ma collaboration fut parfaite (Note : le visage Aldo Lado s’éclaire et il éclate de rire)

Elle est belle dans votre film, presque radieuse.

Elle était magnifique, grande, belle, excellente actrice. Mais du fait de sa vie privée, elle n’a pas continué.

Elle semble avoir disparu après le dernier film de Freda.

C’est un peu la même chose que Barbara Bach. Elle n’était pas une grande actrice mais elle avait une belle présence. Elle était mariée à un italien, donc avait la nationalité italienne. D’où sa présence dans mon film. Puis elle a divorcé et a disparu aux USA. Je l’ai retrouvé à Los Angeles. Elle vivait avec l’un des vice-présidents de la Warner et avait fait un James Bond et elle allait tourner dans L’OURAGAN VIENT DE NAVARONE. Ce ne sont pas de vraies comédiennes, peut être par manque d’ambition. Mais dites-moi, c’est à mon tour de poser une question. Pourquoi cet intérêt pour mes premiers films comme LA CORTA NOTTE DELLE BAMBOLE DI VETRO, CHI L’HA VISTA MORIRE ?

La rareté prime sur le reste pour ce type de films. Ils ont été rares et difficiles à trouver. Aujourd’hui, ils s’inscrivent dans un cycle de films qui ont donné un nouvel élan à la cinéphilie. Ce genre avait été longtemps méprisé, un vrai manque de reconnaissance. Ce n’est plus l’apanage des films d’auteurs, mais d’une frange d’auteurs, comme vous, qui ont été oublié pendant un certain temps. Et de l’influence que certains films ont pu avoir sur d’autres, plus reconnus aujourd’hui. Par exemple les éléments de CHI L’HA VISTA MORIRE? : Venise, le brouillard, des parents à la recherche d’un enfant au centre d’une histoire, la déambulation dans une ville labyrinthique… c’est NE VOUS RETOURNEZ pas de Nicholas Roeg mais aussi SOLAMENTE NERO d’Antonio Bido.

Je suis d’accord avec vous.

Cette idée du traitement de la violence, aussi, très particulier à l’Italie. Dans L’ULTIMO TRENO DELLA NOTTE, qui s’inspire –mais je crois que vous n’etes pas vraiment d’accord avec cela- de LA DERNIERE MAISON SUR LA GAUCHE (Note : Aldo Lado fronce des sourcils). Tout en y ajoutant un sous-texte social, un double niveau de lecture, qui est propre à votre style.

C’est ce qui fait en effet la particularité de mes films.

Pourquoi ce choix des mélodies dans CHI L’HA VISTA MORIRE? Comme la ritournelle chantée par une chorale d’enfants qui revient comme un leitmotiv.

Je voulais faire un conte de fée mais dans un mauvais sens pour les enfants. Un peu comme Hansel et Gretel. C’était sur quoi nous avons travaillé et ce qui en est sorti est cette chanson, comme une obsession qui revient. Pour L’ULTIMO TRENO DELLA NOTTE, je souhaitais que l’un des protagonistes utilise un instrument de musique. Impossible de mettre un piano ou un violoncelle dans un train ! Le choix s’est porté sur l’harmonica. Ce qui a donné aussi ce côté obsession dans le film. On entendait déjà qu’ils étaient là, avant même que l’action ne commence. La musique fait partie des éléments qui aident à donner les émotions, en harmonie avec le reste. Comme le silence. Le silence dans L’ULTIMO TRENO DELLA NOTTE, entre la fête des parents et la jeune fille qui meurt. Le silence joue comme une musique. Ennio écrivait des morceaux qu’on montait. Et puis, au montage, certaines musiques disparaissaient à sa demande, car elles étaient de trop.

C’est plutôt honnête de reconnaître cet état de fait.

J’ai toujours essayé d’être sincère dans mes films. Même dans ceux que j’ai raté. J’ai toujours dit ce que je pensais. Lorsque j’étais assistant, il m’est arrivé d’effectuer des repérages dans les pays de l’Est. Etant un homme de gauche, j’ai toujours essayé de faire attention au social. Et une chose m’effrayait dans les pays de l’Est, c’est que les gens avaient peur de parler. Pour moi, c’était terrible. Mais c’est pour cela que j’ai toujours dit ce que je pensais. Je me suis pris des coups de bâtons sur la tête toute ma vie. Mais je continuerai.

Parlez-nous un peu de LA CUGINA avec Dayle Haddon, qui ne semble pas être sorti en France.

C’était un roman d’un écrivain sicilien, Ercole Patti. Tous ses romans étaient axés sur l’éveil à la sexualité. Ca m’a plutôt amusé qu’on me propose de faire le film. C’était aussi l’époque où les films un peu érotiques se faisaient en Italie. Une sorte de libéralisation du cinéma. Ici, j’ai fait une comédie. L’histoire d’un jeune homme de 18 ans et de sa cousine de 16 qui se touchaient un petit peu, mais sans aller plus loin. Mais la jeune fille voulait se placer dans la vie. C’était une chose assez courante à l’époque en Italie, que les jeunes filles offrent leur virginité en cadeau de mariage. Elle se marie avec un baron... Et j’ai tiré tout le film sur le moment final, le mariage. Et lorsque son mari lui fait voir un cheval dans la cour du palais, on la voit se faire prendre par le cousin alors qu’elle est à la fenêtre. Je l’ai mené d’une manière telle que le public a trouvé une sorte de défouloir au final. Le public qui a d’ailleurs très bien reçu le film. J’avais choisi Christian de Sica pour le rôle du mari, parce qu’il avait une belle tête de cocu (rires).

Je ne crois pas que le film soit disponible en France. L’est-il en Italie ?

Je ne sais pas. Ca ne m’intéresse pas beaucoup, en fait.

Vous ne voulez pas revoir vos films ?

(hésitant) Non… pas spécialement. Je sais que certains de mes films sont sortis en DVD aux Etats-Unis. J’étais à Los Angeles il y a peu. On cherchait avec un ami des DVD à consonance écologique. Et je vois un coffret. « Tiens, un coffret jaune qui ressemble aux livres « gialli » sortis chez Mondadori ». Et surprise, je vois CHI L’HA VISTA MORIRE? et LA CORTA NOTTE DELLE BAMBOLE DI VETRO. Je ne savais même pas qu’ils étaient sortis ! J’avais fait des interviews avec un metteur en scène américain venu à Rome, mais personne ne m’avait dit quand le DVD sortirait. J’ai revu pour la première fois L’ULTIMO TRENO DELLA NOTTE l’année dernière, à la Cinémathèque française. Dans une copie dégueulasse, d’ailleurs. Et LA CORTA NOTTE DELLE BAMBOLE DI VETRO pour le commentaire effectué pour l’occasion. Mais je n’ai pas vu le film, seulement les images.

Concernant l’ambiance assez cauchemardesque de L’ULTIMO TRENO DELLA NOTTE, c’était voulu ?

Absolument. La lumière bleue du compartiment était comme une veilleuse. Je voulais que cela soit voyant. Comme les costumes des jeunes filles. C’était un choix précis, car je n’aime pas laisser les choses au hasard. J’ai toujours essayé d’avoir une ligne directrice en amont, en partant du scénario. Si vous tenez compte des problèmes d’argent, de réunir les bons décors… vous perdez déjà 20% de la force du scénario. Vous savez qu’avec les 100% du scénario, vous ne pourrez pas avoir les 80% restants. On vous change des choses et vous devez faire avec. Mais il faut garder en tête ce que vous voulez faire.

Macha Meril semble assez à l’aise. Quelles ont été vos recommandations pour la diriger ?

Je n’ai jamais donné de consignes aux acteurs. Je les dirigeais. Je savais ce que je voulais d’eux. Macha est une comédienne et actrice extraordinaire. Et le rôle du metteur en scène est de la mettre en situation. La comédienne est au théâtre, elle joue un rôle tous les jours, pendant des mois. Une actrice joue dans un film et une scène précise, en une seule fois. Le metteur en scène la met en situation. Et si c’est une bonne actrice comme Macha Meril, elle va comprendre la situation de suite et jouer ce que vous voulez. Parce qu’elle donne. J’avais ce personnage de la femme bourgeoise et comme nous avions le même agent, j’ai pu rencontrer Macha. Elle était parfaite pour le rôle. Encore aujourd’hui, c’est l’emblème de la femme bourgeoise. Même si dans la vie, elle ne l’est pas ! Sa façon d’être, son regard. Je lui ai expliqué le rôle, qui n’était pas aussi important à l’origine. Et en la voyant et en lui expliquant cela, j’ai réécrit certaines scènes afin de la placer au centre du film et en faire la protagoniste. Elle a fait une performance incroyable.

A votre avis, que devient le personnage de Macha Meril, après la fin du film ?

Elle recommence sa perversion, ses jeux. Lorsqu’elle aura une autre occasion. Les gens ne peuvent pas changer. Il n’y a rien à faire. Elle a pu sortir toute sa méchanceté et se cache derrière sa façade bourgeoise… Mais elle recommencera.

Comment se sont déroulées les scènes d’agression ? Comment un acteur arrive à simuler des scènes d’agression aussi désagréables ? Comment être une victime ?

Je n’ai pas eu de problème car j’ai toujours su garder de bons rapports. J’avais aussi choisi deux filles qui n’avaient jamais tourné. Et quoiqu’il en soit, être metteur en scène, c’est aussi être un peu manipulateur. Irène Miracle avait un côté plus américain, plus maligne. L’autre avait encore un air de jeune vierge. Mais au départ, elles ne vivaient pas ce qui se passait. La violence dans le wagon a d’abord été travaillée sur les gros plans. Donc demander des expressions précises. Ensuite les scènes d’ensemble. C’est cela aussi, la manipulation. Fabriquer un film, c’est manipuler. Vous trompez les spectateurs car les filles ne sont pas violées. Vous trompez les acteurs, car vous les obligez à faire des choses dans un contexte précis, mais sans le faire vivre. J’essayais aussi de ne pas traumatiser les jeunes filles. De la diplomatie dans la gestion du tournage, c’est très important. Mais il s’agit surtout d’éviter le piège du voyeurisme. Le personnage de voyeur dans L’ULTIMO TRENO DELLA NOTTE, je l’ai détesté. C’est un être épouvantable. Mais c’est aussi un grosse partie de la société. Profiter du moment en cachette, comme Macha Meril.

Macha Meril, dans l’interview du DVD, dit qu’elle a été déçue de l’accueil réservé au film. Qu’en pensez vous ?

Je m’en foutais complètement. J’avais fait le film, j’en étais content et je voulais en faire un autre. Le reste m’importait peu. J’ai su après s’il avait marché ou non. Je n’avais jamais acheté de journaux pour lire des critiques. Ce n’est qu’aujourd’hui, après, que l’on s’intéresse à nouveau au film, qu’on m’a ressorti les critiques de l’époque. J’ai toujours été un artisan, travaillant uniquement sur mon produit.

Cela ne vous intéressait-il pas de savoir si le film rencontrait son public ?

Oui. Mais si le public refusait le film, ce n’était pas grave pour moi.

Certes mais cela représentait un risque si le public ne venait pas. Que vous ne trouviez plus de travail. 

Je n’ai jamais vraiment pensé à cela… Ceci dit, c’est à ce moment que j’ai accepté divers travaux à la RAI. L’insécurité peut-être… Mais mes films n’ont jamais mal marché. Certes, ce n’était pas les 2.700.000 entrées de LA CUGINA. Mais ce n’était pas une catastrophe. Quoiqu’il en soit, le résultat était le même : je n’y gagnais pratiquement rien, que le film marche ou pas.

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Dossier réalisé par
Francis Barbier
Remerciements
Aldo Lado, Blanche Aurore Duault & Neo Publishing